La quinzaine de caribous des bois de Val-d’Or sont les derniers survivants d’un troupeau qu’on dit « relique ». Ils sont physiologiquement différents des autres caribous, plus nordiques et plus nombreux aussi, que les Inuits appellent touktouk.

Ces caribous forestiers aiment vivre dans des peuplements de conifères où le lichen abonde et où — important — la tranquillité fait loi.

Jusqu’en 1989, ce groupe d’irrésistibles caribous occupait un territoire de 1100 km2 situé juste au sud de Val-d’Or. De temps à autre, on pouvait en apercevoir près de l’entrée nord du « parc » La Vérendrye. Le ministère des Transports y avait même fait planter un panneau jaune sur lequel était dessinée la silhouette de l’animal pour alerter les automobilistes de son éventuelle présence sur la route.

Aujourd’hui, le panneau a disparu et les derniers caribous sont en voie d’être déportés par le gouvernement dans un zoo au Lac-Saint-Jean. Et dire que ce parc est devenu une réserve faunique en 1979! Ce changement de nom donnait l’impression qu’on allait faire plus attention à la faune, mais en fait, il confirmait la dévolution de sa flore aux compagnies forestières. C’est d’ailleurs le même ministère qui gère la forêt et sa faune. Nous allons voir comment cette dernière se fait bafouer à l’intérieur de ce département. L’actuelle crise du caribou illustre et symbolise parfaitement ce non-sens.

Comment en est-on arrivé là? Triste et révoltante histoire. Peu après que le parc La Vérendrye eût changé de nom pour s’appeler réserve faunique, les abatteuses investissaient le territoire. On est au milieu des années 1980. Toute de suite, des citoyens inquiets ont sonné l’alarme.

Le Regroupement écologiste Val-d’Or et environs (REVE) protesta vivement contre ce péril qui menaçait directement le troupeau de caribous constitué à l’époque d’une cinquantaine de bêtes. Et malgré les mises en garde énoncées publiquement par les biologistes du MLCP (à l’époque, la faune était gérée par le ministère Loisir, Chasse et Pêche (MLCP), malgré des séances d’information tenues à Val-d’Or en 1984, 1986 et 1988, rien n’y fit. Le ministère a continué d’octroyer des permis de coupe dans l’habitat même du troupeau, niant le lien de cause à effet existant entre la déforestation et la survie de la harde.

Au printemps de 1988, le REVE organisa des manifestations dans les rues et les cours d’école de la ville de Val-d’Or dans le but de lancer une pétition demandant au ministre responsable de la forêt (MER)  de revenir sur sa décision. Les jeunes de l’époque, en moins de cinq jours, ont recueilli plus de 3700 signatures auprès de leurs parents et aussi auprès d’adultes de la localité. La pétition fut acheminée au MER ainsi qu’au premier ministre Robert Bourassa. Trente ans plus tard, ces jeunes attendent toujours un accusé de réception.

Dès le début, le REVE prédisait et décrivait les étapes qui mèneraient au déclin inexorable du petit troupeau si l’abattage des arbres n’arrêtait pas. Les parterres de coupe des peuplements d’épinettes matures — l’écosystème idéal du caribou — se régénèreraient tout d’abord en trembles et en bouleaux, attirant ainsi l’orignal, suivi de ses prédateurs naturels : le loup et l’ours qui, rendus sur place, ne refuseraient pas en passant un bon steak de caribou si jamais il apparaissait au menu.

Ensuite, la prolifération des chemins forestiers — qu’aujourd’hui encore le ministère refuse de fermer après usage — susciterait une demande accrue pour les permis de camps de chasse et faciliterait l’envahissement du territoire par les amateurs motorisés : 4×4, VTT, motoneiges, et autres engins bruyants. Or, c’est bien documenté, le caribou est une espèce extrêmement sensible au « dérangement ». (On estime aujourd’hui que ce dérangement affecte 92 % de son habitat.)

Et tout cela arriva. Malgré la clarté de cette tragédie annoncée, le MER a octroyé en 1989 le permis d’exploiter cette forêt à la compagnie Forex, — qui deviendra Domtar — tout en continuant de fanfaronner que ça se ferait sans préjudice pour les caribous.

Préjudices il y eut. Le troupeau d’une cinquantaine de bêtes qui se maintenait, selon les spécialistes, tout juste au seuil minimal de reproduction se mit à décliner comme prévu, année après année.

En 2009, le technicien en faune Jonathan Leclair, alors associé au Anicinapek (Algonquins) de Kitcisakik, organisa un vaste colloque « de la dernière chance » à l’UQAT, à l’issue duquel s’imposa la nécessité d’un solide plan de redressement. En ce sens, un comité de rétablissement vit le jour au printemps 2010. Y siégeaient l’UQAT, le REVE, l’Action boréale, des villégiateurs, des représentants de trois communautés autochtones, des gens mandatés par le ministère des Forêts, la Ville de Val-d’Or et la MRC. Ne manquaient que les caribous.

De ces travaux en résulta la nécessité de décréter un moratoire sur les coupes forestières dans l’habitat résiduel du caribou et aussi de fermer les chemins attenants. Le ministère refusa et s’obstina dans son déni. Devant cette intransigeance, et pour ne pas se faire complice de l’extinction du caribou, une majorité des membres du comité en vinrent à démissionner en bloc.

Le ministère resta à table avec les chasseurs et les gens mandatés par l’UQAT, la MRC et la Ville de Val-d’Or. Ils y sont peut-être toujours, nous n’avons depuis reçu aucune nouvelle d’eux.

Dans l’espoir de transformer sa profonde bêtise en coup d’éclat médiatique, le ministère, au printemps 2015, procéda à la capture de femelles en gestation pour les garder sous enclos et les soustraire aux prédateurs. Une femelle et son faon moururent durant l’opération. On mit fin à l’expérience.

Et puis finalement, ce printemps, le ministre Luc Blanchette, responsable de la faune et de la coupe des arbres, annonce avoir trouvé la solution « la plus intelligente » : déporter la quinzaine de caribous au zoo de Saint-Félicien, dans le comté du premier ministre, soi-disant pour les sauver d’une mort certaine.

Cette harde de caribous va disparaitre, c’est sûr. Mais elle conserve l’ultime droit de mourir dans la dignité au sein de son territoire de toujours et non dans un camp de concentration. Nous y veillerons.

Espérons enfin que la disparition de la harde de Val-d’Or nous serve de leçon pour que ne se répètent plus les erreurs de gestion envers les autres hardes de caribous forestiers, là où ils sont en nombre encore suffisant pour pouvoir se perpétuer.

C’est un devoir que nous, les gardiens de la Terre, leur devons, à eux, les caribous. C’est aussi un devoir de mémoire envers les générations futures : nos enfants qui deviendront à leur tour les gardiens de la Terre.

Henri Jacob, militant écologiste et président de l’Action boréale

Richard Desjardins, vice-président de l’Action boréale.