Ma femme est abonnée à Coup de pouce. Elle laisse traîner des revues un peu partout : sur la table du salon, près du téléphone, sur le réservoir des toilettes. Je les feuillette de temps en temps quand j’ai quelques minutes à perdre. L’autre matin, en refermant le numéro de décembre dernier, je lui glisse, avec conviction :
« Au fond, c’est malsain, peut-être, je pense, de lire ça ! »
« T’exagères, me répond-elle, c’est pas le Journal de Montréal, quand même ! »
Je ne pouvais pas lui donner tort. Et moi de me lancer alors dans l’explication de ma théorie fumeuse, mais peut-être boiteuse…
À lire ce genre de revues, surtout lues par les femmes, on a rapidement l’impression que nos journées devraient durer 36 heures, et nos semaines avoir huit, neuf jours. La liste des choses à faire est terriblement longue. En vrac, comme ça :
– essayer 17 recettes chaque mois, faire des cannages l’automne et nos propres desserts aux fêtes;
– appliquer deux huiles de corps chaque soir et autant de crèmes de jour le lendemain, sans oublier la brosse à dents, le rince-bouche et la soie dentaire;
– redécorer chaque pièce de la maison chaque année et repeindre au goût du jour, selon les tendances « design »;
– organiser la fête des enfants en prenant bien soin de fabriquer à la main les cartes d’invitation et les décorations, en plus de faire le gâteau et de préparer deux ou trois jeux qu’on saura animer avec joie et énergie;
– s’assurer chaque jour de développer les habiletés psycho-cognitivo-socialo-affectives de nos enfants, entre les devoirs, le bain et le pyjama;
– lire les derniers romans parus et regarder les films et séries les plus récents, sans manquer les deux ou trois spectacles qu’il faut absolument voir;
– rester actif en bougeant au moins une heure par jour, soit en marchant, en crossfitant, en yogant ou en joggant, avec les kits à la mode bien sûr (d’ailleurs, parlant de course à pied, je n’ai jamais vu autant de gens se plaindre de courir tout le temps avoir le temps de prendre le temps de courir);
– s’occuper de son couple en prenant le temps de communiquer, relaxer à deux, se dorloter et faire l’amour, le plus souvent possible (là, je suis d’accord avec Coup de pouce).
Et puis, le comble, dans ces mêmes magazines, on aura des articles de fond, des entrevues avec des experts, qui nous diront ô! combien il est important de relâcher la pression, de savoir déstresser et de prendre du temps pour soi. Je ne sais pas pour vous, mais j’y vois un très gros paradoxe et surtout, une énorme pression. De la culpabilité à chaque page. Ce n’est pas un coup de pouce, mais un coup de poing. Et les questions qui demeurent dans la tête : « En fais-je assez ? Suis-je normal(e), docteur, de ne pas faire tout ça ? »
Ma femme semblait d’accord là-dessus. Elle continuera sûrement son abonnement. Elle pourra le feuilleter pendant que j’épluche les patates sur les pages du Journal de Montréal. Celles avec les chroniques de Richard Martineau sont toutes désignées pour la job…