Isabelle Mapachee est la cofondatrice du pow-wow de Pikogan, un évènement rassembleur et coloré qui se tiendra les 9 et 10 juin prochains dans la communauté Abitibiwinni. Bien qu’organisatrice à ses heures, Isabelle est avant tout une passeuse culturelle, les pieds et le cœur bien ancrés dans le présent. On pourra la voir, arborant son regalia aux multiples clochettes, ou encore en forêt, traquant l’orignal une fois l’automne venu. Entre les deux, elle se dévoue au bien-être des gens de sa communauté. Son territoire et sa culture anicinabe lui coulent dans les veines.
PETITE IDÉE DEVIENDRA GRANDE
« Depuis que je suis toute petite, j’aime danser pour des évènements. Il n’y avait pas de pow-wow ici, mais j’en entendais parler par ceux qui y allaient. Ça m’intriguait », raconte Isabelle. Un jour, un autobus de danseurs de l’Ontario passe par Pikogan, en route pour le premier pow-wow de Chisasibi. « Ils m’ont offert de monter avec eux. Mes yeux sont devenus grands comme ça et j’ai dit “certain j’embarque!” C’est comme ça que j’ai fait ma première grande entrée en 1991, à Chisasibi. Depuis ce temps-là je n’ai jamais arrêté. »
Il y a plusieurs types de danses traditionnelles. Chaque danseur a son histoire. Aujourd’hui, Isabelle performe le jingle dress dance, où les clochettes cousues à la robe tintent au rythme du corps. C’est une danse de guérison réservée aux femmes. « Un jour, une dame de ma communauté qui était très malade a frappé à ma porte. Elle m’a offert des clochettes en me demandant de danser pour sa guérison. On a commencé à coudre mon regalia, ma mère et moi, une clochette à la fois. C’était tout un honneur. » Aujourd’hui cette femme est guérie et Isabelle a conservé ce style de danse.
Voyageant d’un pow-wow à l’autre à travers le pays, l’envie de faire renaître ce rassemblement à Pikogan la chatouillait. Avec ses complices Kenny Ruperthouse et Branda Rankin, elle s’est lancée dans l’aventure. Cette année-là, un autre grand rêve a pris forme, alors qu’Isabelle est devenue maman.
LE CERCLE S’AGRANDIT
Maintenant, sa petite fille suit ses pas, un rôle qu’elle prend très au sérieux. « Danser c’est une façon d’aider les gens et je trouve ça important de lui transmettre ces valeurs. Nous avons souvent des demandes de danser pour aider des gens à guérir ou pour les personnes disparues. Depuis le 1er janvier 2018, j’ai la photo de Sindy Ruperthouse cousue sur mon regalia », raconte Isabelle avec respect.
En 2017, le pow-wow rendait hommage aux sept enseignements sacrés de la culture anicinabe : l’amour, la sagesse, le courage, l’honnêteté, la vérité, le respect et l’humilité. « C’est ce qu’on vit au quotidien, explique Isabelle. Nous sommes beaucoup plus que les bribes qu’on connaît de nous aujourd’hui. » À son avis, il doit y avoir un réveil de la société au sujet des Premières Nations parce que l’ignorance amène beaucoup de préjugés et cause beaucoup de torts. « Moi, je fais mon petit bout avec le pow-wow et les valeurs positives que ça véhicule. » En effet, rien de mieux que de faire connaissance pour mieux se comprendre.
L’évènement en sera cette année à sa 6e édition. Sa plus grande fierté? « À travers les années, le cercle des danseurs s’est énormément agrandi. Toutes les mamans et les grand-mamans se sont mises à la couture pour leurs enfants. Il faut comprendre que les pow-wow, c’est aussi un mode de vie, une attitude. Ça nous aide à passer à travers les épreuves », raconte Isabelle. « Il y a une grande fraternité entre les danseurs, de l’entraide, de la compréhension. En plus, ça augmente l’estime de soi, le sentiment de fierté et d’accomplissement qu’on vit quand on s’implique », confie-t-elle. C’est cette fierté qu’elle veut inculquer aux jeunes. « C’est peut-être aussi là notre porte de sortie vers une réconciliation. »
L’ARCHÉOLOGIE AU SERVICE DE LA CULTURE
Ceux qui se rendront à Pikogan les 9 et 10 juin auront l’occasion de voir des artéfacts très significatifs aux yeux d’Isabelle Mapachee. « Il y a quelques mois, j’ai rencontré un chercheur qui m’a montré une photo de clochettes, datant de plus de 300 ans, trouvées lors de fouilles archéologiques au lac Abitibi. J’ai toujours cru que mes ancêtres dansaient, mais ça ne faisait pas consensus dans la communauté. Certains pensaient que ces traditions venaient plutôt de l’Ouest. Ces clochettes venaient donc confirmer mon intuition. Dernièrement, je suis allée les voir à Archéo-08. Ça m’a beaucoup émue. On fait partie de cette histoire-là, mais mieux encore, on la perpétue », explique Isabelle.
Isabelle Mapachee a remis le grand chapeau de l’organisatrice pour une autre année. Même si elle a parfois l’impression de ne pas savoir où elle s’en va, elle assume sa mission. « J’essaye de montrer la voie à ma fille. Il faut rester debout et forte. Mes grands-parents ont tracé un chemin pour mes parents, eux l’ont fait pour moi, c’est à mon tour de la faire pour elle. C’est important de transmettre aux enfants des ancrages positifs. »
Avec en son cœur une femme telle qu’Isabelle Mapachee, c’est plus qu’une famille ou une communauté qui se développe. C’est toute une région qui s’enrichit.