Tel est le nom du film.

 

À quelques semaines de la Crise d’octobre, Pierre Perrault réalise, en 1970, un film, un brulot pour l’époque : pour les personnages qu’il met en images, penseurs ou pêcheurs, il n’y a pas de pays sans appartenance. Un pays ne se définit pas par ce qu’il n’est pas, un pays n’est pas une barrière.

Un pays sans projet est un pays sans bon sens. Sans destinée. Et comme le disait Alain Bashung : À quoi ça sert la frite si t’as pas les moules?

Je m’interroge ces temps-ci sur la rareté des projets collectifs[i] qui nous mobilisent. Sommes-nous toujours capables de rassembler nos forces? Sommes-nous à ce point gavés ou préoccupés par l’autosatisfaction de nos besoins pour ne pas prendre fait et cause pour notre territoire?

Ces dernières semaines nous ont quittés coup sur coup deux porteurs d’espoirs, donneurs de sens, qui incarnaient l’idée même de projet de territoire et de dépassement dans le respect de leurs valeurs personnelles : Hilaire Boissé et Daniel Gagné. Un assureur et un artiste. Rien à voir.

Tout différents, pas du tout dans le même registre, mais deux individus obsédés par l’idée qu’un territoire ne peut être défini que par l’imaginaire collectif et l’investissement personnel dans un projet rassembleur.

À son heure, il y a plus de 50 ans, Hilaire Boissé a mis en place avec d’autres un forum régional de pris en charge de nos utopies collectives : le Conseil économique régional du Nord-Ouest québécois, le CERNOQ[ii]. Avant tout le reste du Québec, lassé de la domination des grands conglomérats industriels sur sa destinée, le Nord-Ouest mettait la concertation de l’ensemble des acteurs socioéconomiques en avant comme moyen d’assurer son propre développement.

Hilaire Boissé a tellement cru à notre projet collectif qu’il a été directeur général bénévole de la toute nouvelle Fondation de notre université, l’UQAT. Il a recueilli 1 M$ en 3 ans. Avec Hilaire, nous avons cessé de nous définir comme un point cardinal sur une boussole, nous sommes devenus une région comme il convenait alors de nommer les territoires éloignés.

Daniel Gagné aura marqué de plusieurs pierres notre édifice collectif tout en lançant l’une d’elles dans la marre témiscabitibienne. Daniel Gagné a honni copieusement le gentilé « témiscabitibien ». Pour lui, la dénomination administrative Abitibi-Témiscamingue n’aura jamais été qu’une bébelle de fonctionnaire tout à fait factice. Pour lui, c’était nier que les Premières Nations avaient déjà, bien avant nous, adopté une vision séculaire de ces deux territoires que sont l’Abitibi et le Témiscamingue.

Mais Daniel avait surtout pour Vassan, son village, le même engagement qu’Hilaire pour le sien, Rapide-Danseur. Chacun dans son créneau intégrait très bien le concept de Bernard Vachon, professeur et penseur du développement régional : projet de territoire = territoire de projets. Pour accomplir ce qu’ils nous lèguent, leurs territoires intérieurs ont dû compter tout autant pour eux, j’en suis certain.

Dans son livre Tout est foutu, Mark Manson explique que pour faire germer l’espoir, trois facteurs doivent être rassemblés :

  • le sentiment de maîtriser sa propre vie;
  • trouver un but qui mérite que l’on s’investisse;
  • partager des valeurs avec une communauté d’individus.

Manson raconte que les sociétés les plus accomplies économiquement sont celles où les humains vivent le plus grand désespoir. Comme quoi le sens n’arrive pas avec le fric.

Le sens. Donner du sens nous définit.


[i] Il y a l’heureuse exception Avantage Numérique!

[ii] Lire l’autobiographie d’Hilaire Boissé : Le triomphe et l’espérance, Mon histoire, L’ABC de l’édition, 2005.


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