Jeudi le 4 novembre, 9 heures et quelques poussières de matin, mon téléphone chante, j’émerge à peine de mes rêves et voilà que j’entends cette si douce voix : « Bonjour Valéry, c’est Diane Tell, pardonne-moi, je ne me souviens plus très bien l’heure de notre entretien? » Je me pince. Quelques petits flocons de neige sur ma voiture plus tard, le téléphone chante encore, je me gare. Diane Tell me parle de son programme bien rempli et nous convenons d’un rendez-vous, un 5 à 7. Je me pince encore : la jeune fille en moi qui écoutait en boucle l’album En flèche semble soudainement devenue l’amie de Marie-Jeanne, Claire et Sophie. De Québec à Paris, de Biarritz à l’Abitibi avec cette grande dame, je l’avoue, nous avons parfois sauté du coq à l’âne et l’âme. Nous avons beaucoup parlé du temps, de celui qui ne semble pas avoir d’emprise sur Diane Tell. Elle est toujours aussi lumineuse, fougueuse, fonceuse et amoureuse de la vie comme au temps de ses premières compositions. Dès l’âge de six ans, elle est de la première mouture étudiante du Conservatoire de musique de Val-d’Or, sous la bienveillance d’Edgard D’Avignon (fondateur) et de Luis Rebello (professeur). Elle commence par frotter son archet sur le violon, puis elle décide de laisser pincer ses doigts sur les cordes d’une guitare. L’avenir nous a confirmé que les arpèges étaient en accord avec ce choix. La légende valdorienne raconte (entre les branches) qu’elle grattait de la guitare sur le trottoir de la 3e Avenue devant le restaurant Capri (peut-être les prémisses d’une Villa à Bergame en Italie). Jeune femme curieuse, elle se met à composer, écrire et chanter ce qu’elle a envie de dire et d’entendre, ne trouvant à ce moment-là rien qui ne ressemble à sa génération qui n’a pas toujours l’âge si tendre.
Première femme reconnue en tant qu’auteure-compositrice-interprète à une époque charnière de la musique québécoise sans le savoir, elle ouvre le chemin, défricheuse sans y penser. Elle a toujours suivi son propre chemin, ici comme ailleurs. Elle compose son monde : celui où nous avons l’âge de l’émotion que ses textes suscitent.
Selon un certain Slobodan Despot (ami-auteur-compositeur, homme sans peur), « Diane Tell est un petit État souverain parmi les empires ». Selon mon humble avis, c’est une femme qui n’a jamais senti le besoin d’être un objet de convoitise, d’être moulée ou formatée. Pour elle, pas de contraintes. Au contraire, elle est de ces grandes dames qui transportent leur royaume avec elles et qui se donnent le droit de conquérir tous les territoires du cœur.
Parce que Diane Tell regarde la vie avec l’intelligence de la liberté, pour elle, la notion du temps est un tiercé. Il y a le temps présent : celui qu’il faut gérer dans l’action, là, tout de suite. Il y a le temps plus long, celui que l’on doit contrôler à court ou long terme, celui des échéances, des concerts, celui des idées qui se font concrètes, et le temps plus lent, celui des rêves, de l’inspiration des mille perspectives. Diane n’a pas le temps nostalgique, elle n’a pas cet état d’âme, elle s’ennuie rarement. Diane est trop occupée à faire bouger la vie. Pourtant, ses chansons sont souvent des invitations à valser avec la mélancolie. Non, elle n’est pas la femme d’une seule chanson. Elle a tissé sans le savoir la trame sonore de nos vies. Je vous mets au défi de parcourir son univers musical et de ne pas reconnaître une phrase, un refrain, une mélodie. Cette belle luciole qui n’en finit pas de grandir, qui va au-devant des courants sans se soucier de ce qui guide le sien a fait de belles rencontres impromptues. Celle qui se compose, chante et se pose est aussi devenue celle qui propose. Des rencontres impromptues, farfelues, elle se fait la muse et s’amuse des mots de grands talents qui ne composaient que pour eux, ou même pas du tout encore, comme Françoise Hardy, Boris Bergman, Maryse Wolinski, Marilyne Desbiolles et Slobodan Despot. Ils ont tous été séduits d’être dans les yeux de son cœur curieux. Pourtant, elle n’est pas facile, Diane Tell, elle marche sur son propre fil. Plamondon et Berger peuvent le confirmer. Ils ont passé des années à la courtiser pour différentes versions de Starmania. Diane Tell connaît la pointure de ses chaussures, elle ne marche pas dans le chemin des autres. Avec sa belle désinvolture, elle leur a signifié que s’il y avait une nouvelle aventure, elle pourrait y penser. L’histoire nous racontera La légende de Jimmy. Comédie musicale du duo de choc et peut-être première piqure pour casser cette stature d’auteure solitaire. Toujours intrigante, fascinante à nos yeux et ceux de l’Hexagone, elle semble devenir plus accessible avec la comédie musicale Marylin Montreuil (Marylin, c’est elle et la musique aussi). Dans l’hommage à Aznavour J’me voyais déjà!, elle donne une autre couleur aux textes de ce géant de la musique. Elle se balade, gambade et joue avec les mots des autres, mais toujours avec sa belle et grande musicalité.
De la France à ici, il y a tout un pan de ses chansons qui nous ont fait faux bond. Le ludique album Docteur Boris & Mister Vian où elle visite les standards jazz américains sous la traduction de Boris Vian. Elle n’en finit pas de nous étonner. Et parmi tout ça, des chansons lumineuses d’amour et de tristesse comme « J’pense à toi comme je t’aime », « Souvent, longtemps et énormément » et « Savoir ».
Lors du 75e anniversaire de la ville de Val-d’Or, son berceau, elle fait connaissance avec Serge Farley Fortin (qui n’est pas un cousin d’ADN, mais de musique) et d’Alain Dessureault qui lui offre ses mots. Elle se laisse emporter sur la vague abitibienne.
Un haïku est un poème d’origine japonaise très bref célébrant l’évanescence des choses et les sensations qu’elles suscitent. Son plus récent opus semble un amalgame de tout ce parcours, comme si elle avait pris le temps d’avant pour mieux se laisser inspirer pour mieux prendre son envol. « La mélancolie est le bonheur d’être triste », citait un certain Victor Hugo. Les chansons de Haïku en sont empreintes. Diane Tell a bien cerné ce qu’elle voulait raconter et bien choisi ceux avec qui elle voulait chanter en toute liberté. L’album est réalisé par Fred Fortin (qui lui non plus n’est pas son cousin). La chanson Vie (Fred Fortin) semble un hommage à la Diane Tell de « Gilberto ». « On n’jette pas un amour comme ça » est dans la lignée de tous les amours de femmes qu’elle nous a chantés. « J’aurais voulu qu’tu saches » (Alain Dessureault et Serge Farley-Fortin) ressemble aux prières où l’on déchire son cœur des sans lendemains. Et « Il ne m’aime pas » se fait l’écho de « Reste avec moi (Bonheur d’occasion) ». Bref, Diane Tell est de retour à la maison. Laissez-vous raconter la lumière de cette grande reine de la musique qui fait de l’Aquitaine son petit paradis et, de ses yeux curieux et de son indépendance, des pays où existent tous les je t’aime.
Petit clin d’œil haïku pour Diane :
Pincez ses doigts
ouvrez grand les yeux
sans avoir froid
Elle sera en concert le 30 novembre à Amos, le 1er décembre à Rouyn et le 2 décembre à Val-d’Or. Venez faire à nouveau connaissance avec Diane Tell!