STÉPHANE GRENIER
Il neige ce matin, et je suis épuisé.
Épuisé d’avoir rencontré, encore,
une nouvelle personne sans toit.
Épuisé de devoir, encore,
me battre pour un budget, pour un lit, pour un peu d’humanité.
Épuisé,
parce que la reconnaissance n’est jamais au rendez-vous,
et qu’on me dira encore
que j’encourage les gens à vivre dans la rue.
Épuisé,
parce que mes projets,
ceux de La Piaule,
seraient mieux « ailleurs »,
loin des yeux, loin des cœurs,
comme au Moyen Âge,
où l’on chassait les pauvres hors des murs de la cité.
Épuisé,
parce qu’on répétera
qu’ils n’ont qu’à travailler –
alors qu’aucun employeur ne veut d’eux,
trop malades, trop brisés, trop humains.
Épuisé,
parce que s’ils travaillent un peu,
on leur coupera leur chèque d’aide sociale.
Parce que s’ils trouvent un logement, il sera trop cher,
plus cher que le peu qu’ils reçoivent pour vivre.
Épuisé,
par ces entrepreneurs qui se plaignent des itinérants
tout en achetant les maisons du quartier
pour loger leurs employés –
et chasser les anciens résidents.
Épuisé,
de cogner à la porte de l’OMH,
d’entendre qu’il faut un T4,
une preuve d’adresse,
pour avoir le droit d’exister à Val-d’Or.
Épuisé,
d’entendre qu’on n’a pas à accueillir « des gens qui ont des problèmes ».
Épuisé,
par les travailleuses sociales du réseau
qui inscrivent « La Piaule de Val-d’Or »
comme adresse d’urgence,
comme si nos murs pouvaient remplacer une maison.
Épuisé,
par les agents correctionnels,
par les policiers,
qui font la même chose,
comme si La Piaule était devenue
le dernier refuge administratif
des âmes sans toit.
Épuisé,
de répéter qu’il faut des logements,
et de me réveiller chaque matin
dans un pays qui investit plus en armes qu’en toits pour ses enfants.
Épuisé,
de voir qu’on accuse les Autochtones et les immigrants,
alors qu’ils sont les premières victimes
de cette crise qu’on a fabriquée ensemble.
Il neige ce matin,
et je suis épuisé.
Mais il neige aussi,
et la neige finit toujours par fondre.
Alors je garde espoir –
espoir de t’aider, toi, qui n’as plus qu’un ciel pour abri.
Il neige ce matin,
et peut-être, un jour,
cette tempête qu’on appelle indifférence
disparaîtra, elle aussi.