LISE MILLETTE

« Des cadeaux », c’est ainsi que Liliane Gagnon nomme une racine rabougrie qui pourrait ressembler à un habitacle pour personnage féérique, une brindille qui deviendra roue de bicyclette ou ruban ou une concrétion calcaire dans laquelle un visage est dissimulé. 

Tessons de faïence ou de bouteille, bois d’épaves poli, bois de grève, morceaux de plastiques abandonnés depuis des décennies, pierres de diverses formes, écorces roulées, autant de pépites qui n’attendent que d’être repérées par l’œil curieux de Lili, comme la surnomme affectueusement son conjoint, Jacques Baril. Ce dernier est le premier témoin des cueillettes lors d’escapade en bordure de rivière, dans son petit coin de paradis de Gallichan qui surplombe la rivière Duparquet. 

« Ça lui servira à créer toutes ces scènes empreintes d’amour, de détails sublimes et presque invisibles. Elle passe des heures innombrables à créer des univers fantastiques alimentés par ses rêves. Elle se sert des motifs imprégnés pour tracer un paysage, des lignes complexes d’une concrétion pour faire surgir des dizaines d’oiseaux ou d’animaux de toutes sortes », explique Jacques Baril, qu’elle entraîne régulièrement dans ses balades puisque bien souvent, la récolte est bien plus grande que ce que peuvent contenir ses deux mains et le sac qu’elle n’oublie jamais d’apporter. 

Photographe : Lise Millette

Toute menue, Liliane Gagnon possède la délicatesse d’une orfèvre qui travaille finement ses œuvres. Sa minutie a été observée par ses professeurs à l’Institut des arts appliqués de Montréal, où la grande Madeleine Arbour lui a enseigné pendant quatre ans. 

« Madeleine m’avait prise sous son aile », se souvient, émue, Liliane Gagnon, qui a fait partie de la dernière cohorte de ce programme, auquel a succédé la formation collégiale. Elle se sent privilégiée d’avoir été exposée à des artistes passés maîtres dans leurs arts respectifs ainsi que d’avoir reçu leur appui. 

Discrète, modeste, introvertie, Liliane Gagnon n’est pas avare de ses créations. Son chez-soi est aussi devenu le repère caché d’autres artistes, notamment Virginia Pesemapeo Bordeleau et Véronique Doucet. Dans sa pratique, elle a aussi collaboré avec l’écrivaine Margot Lemire, avec qui elle partageait une grande sensibilité. La sincérité et la gentillesse de l’artiste attachante et accueillante ne font aucun doute. 

De sa démarche artistique, elle dit qu’elle explore l’art et son univers en tentant de découvrir l’essence d’un objet ou de ces petits fragments laissés pour elle. Une forme d’archéologie des petits riens qui cachent, pour qui sait voir, une nature qui ne demande qu’à se révéler. « J’essaie toujours d’aller voir plus loin. C’est comme la question de la question, si on veut, et de toujours aller voir plus loin, ce qu’il y a à l’intérieur », explique Liliane Gagnon. 

Photographe : Lise Millette

Encore faut-il avoir l’œil pour voir dans une racine, un personnage, dans une pierre, un visage ou dans la queue d’une courge, une petite fée qui ne demande qu’à se révéler. Dans son petit atelier, elle prend une toute petite maison dans sa main. La magie opère. Délicatement, elle glisse un petit triangle qui sort du grenier, avec lotis à l’intérieur, une petite création. Puis, elle retire une petite fenêtre, qui devient un tiroir. Et ensuite, en soulevant le toit, de petits cadres minuscules, montés sur un canevas, sur lesquels elle a peint des scènes d’ameublement. Une toute petite maison, qui recèle tout un monde. 

« Elle est une femme profondément aimante de la vie, de la vie des animaux et des plantes par leurs traces, de la vie secrète des objets ballottés par le vent et les vagues. Elle se perd lorsque son tableau est trop grand, elle aime mieux travailler dans les coins ou dans les espaces tout petits pour nous y faire tomber », dit aussi Jacques Baril. 

Son amoureux est aussi un complice de création. Les grandes œuvres de Jacques Baril cohabitent avec celle de Liliane Gagnon. L’immense et le miniature se rencontrent et se répondent. « J’ai de la chance d’avoir Jacques », confie-t-elle. Les deux se nourrissent mutuellement en quelque sorte. Elle lui ramène parfois des pièces de bois trop grandes en y ajoutant sa touche personnelle. Jacques, quant à lui, confectionne des cadres, des présentoirs et des lieux refuges de création. 

Liliane Gagnon. Photographe : Lise Millette

Dans son petit repère caché, juché au grenier de la boutique-atelier, des trésors attendent que Liliane Gagnon s’y arrête à nouveau. Entre les gerbes de fleurs et de plantes séchées, la lumière du jour emplit la petite pièce, qui ressemble à un cockpit, où l’artiste-pilote s’apprête à s’envoler là où la mènera son imagination. On s’y sent comme dans un écrin, à l’abri. 

« C’est ça ma vie… c’est comme si mon côté enfant était resté en moi », résume-t-elle. 

Et même si aujourd’hui, il lui devient plus difficile, à 77 ans, d’avoir le même doigté précis et délicat qu’auparavant, elle n’a rien perdu de ses capacités de percevoir l’essence qui se cache au creux « des cadeaux » qui se posent sur son chemin. 


Auteur/trice

Lise Millette est journaliste depuis 1998, tant à l'écrit qu'à la radio. Elle a également été présidente de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). En Abitibi-Témiscamingue, elle a été rédactrice en chef de L'Indice bohémien en 2017 et depuis, elle continue de collaborer avec le journal.