LISE MILLETTE
Un coin jeté dans l’Nord, première pièce de théâtre du duo Alexandre Castonguay et Nicolas Lauzon. Un texte difficile et aussi lourd que le poids de l’époque industrielle. Les mots sont durs et viennent dépeindre des visions polarisées et la loyauté déclinée en différents tableaux : à la famille, à la personne aimée, à la communauté, au lieu de travail, à la région.
La pièce s’inscrit dans un nouveau cycle de création au Théâtre du Tandem. Elle prend racine dans le drame familial. Une jeune femme revient chez elle, après avoir quitté la région à la suite du suicide de sa mère. Une usine exerce une mainmise sur la communauté. Plusieurs sont tiraillés entre les conditions de vie et l’impact environnemental. Rester, partir ou faire du bruit pour tenter de provoquer un ultime changement de paradigme.
« Nous on dénonce, mais on n’accuse personne. On n’a pas de coupable », insiste Nicolas Lauzon.
N’empêche, les changements de fond se font rarement sans remous. Dans ce texte, un ressac se met en place, ou plutôt, des désirs de vengeance fomentent et les lignes de tension sont vives. Chacun des trois personnages y va, tour à tour, de ses propres élans et blessures, jusque-là refoulés.
« J’ai rêvé d’écrire une pièce de théâtre à la cafétéria du cégep, 30 ans plus tard, ça se passe pour vrai », exprime Alexandre Castonguay.
Pour Nicolas Lauzon, le théâtre s’est glissé, presque sournoisement, dans un processus d’écriture. « Je ne connaissais rien au théâtre, je ne savais même pas ce qu’était une didascalie », lance Nicolas Lauzon. (Note : dans un texte théâtral, les auteurs précisent dans des didascalies les intentions qu’ils souhaitent à une scène ou les intonations des personnages, par exemple.)
« Alexandre fait dans les détails, alors que moi, je suis plutôt minimaliste. J’ai aidé Alex à en mettre un peu moins et lui m’a permis d’en mettre un peu plus pour que ma poésie soit un long récit où au final, on s’est influencés », résume Nicolas Lauzon.
Photographe: Christian Leduc
UNE TRAGÉDIE NÉE DE L’AMITIÉ
« Je lui ai demandé s’il avait des poèmes refusés. On est partis de ça. On a fait ressortir des thèmes, fait des exercices d’écriture, le Conseil des arts nous a remis une bourse pour travailler à deux. Peu à peu, on a eu une trame et l’idée du quai. Le quai est un endroit qui peut mener vers l’eau, ou à la terre, qui rappelle la scène, l’endroit d’où on arrive ou d’où on part, le point d’origine ou du départ », expose Alexandre Castonguay.
Comme deux tisseurs, ils ont tous les deux remis l’ouvrage sur le métier. Ils l’ont repassé, peaufiné, coupé, repris. Le duo a essuyé un premier refus au festival du Jamais Lu. Ils ont repris le travail une fois de plus, puis la nouvelle mouture a été acceptée.
Un coin jeté dans l’Nord a été lu pour la première fois en août 2021 au festival du Jamais Lu. Là encore, l’interprétation a ouvert les portes à une forme de correspondance. Zoé Tremblay-Bianco incarne le personnage de la fille au destin tragique. « Ce n’est pas du tout commun comme processus. C’est à la fois humain et familial, je dirais. La pièce met le doigt fin sur le conflit entre la nécessité d’une industrie pour la ville et les humains dans leur complexité. C’est venu toucher des cordes sensibles. C’est un projet de cœurs et de tripes », confie la comédienne.
Jean-Sébastien Lavoie et Jean-Christophe Leblanc complètent la distribution de la pièce qui sera présentée du 23 au 28 novembre, à l’Agora des Arts de Rouyn-Noranda.
« Je voulais être assis dans la salle et le vivre. Je n’ai jamais qu’écrit. Cette fois, je ne joue pas, je n’ai pas fait la mise en scène, je veux m’émerveiller, voir les gens la recevoir », confie Alexandre Castonguay, directeur artistique du Théâtre du Tandem.
Photographe: Julie Saint-Amour
UN ÉLAN DRAMATURGIQUE ABITIBIEN
« Quand on écrit une pièce de théâtre, la consécration c’est de la monter, c’est que ça devienne de l’art vivant. C’est un texte qui parle de notre région, de la dichotomie entre vouloir rester et partir, l’amour de la région et la trahison de vouloir partir, le tout par deux auteurs d’ici », souligne Adam Faucher, directeur artistique de l’Agora des Arts.
Après sa présentation à Rouyn-Noranda, la pièce prendra aussi la route. Elle sera présentée en décembre à Rémigny, Gallichan et Senneterre et en janvier, à Lebel-sur-Quévillon, Val-d’Or, Ville-Marie et Cléricy.
« On souhaite assumer fortement la démesure du territoire. Du théâtre en Abitibi, il s’en est écrit et il est temps de passer un coup de débroussaillage dans une trail déjà faite », assure Alexandre Castonguay.
D’ailleurs, d’autres projets dramaturgiques s’en viennent, notamment sous la plume d’Isabelle Rivest. Le directeur artistique, Alexandre Castonguay, voit grand, loin et en est fier.
« Un désir de créer en région pour les gens de région, mais aussi, pourquoi pas un auteur de région qui est lu et joué par des gens de la ville? », dit-il, dans une volonté d’affirmation et d’une résurgence de la dramaturgie abitibienne.
L’artiste (Alexandre Castonguay), le poète (Nicolas Lauzon) : une rencontre fraternelle qui puise dans l’intimité de la création de laquelle est née une tragédie. Un coin jeté dans l’Nord est une douche froide dans une réalité où l’industrie exerce une mainmise.