L’expression « À travail égal, salaire égal » trouve son fondement juridique au Québec dans le Code civil selon le principe de non-discrimination entre les salariés. Si l’artiste est souvent exclu de ce principe, c’est peut-être parce que bien souvent, il ne peut être considéré comme salarié, ce qui fait qu’il échappe au postulat de base : être payé. Des perceptions, à mon sens, décalées engraissent ce phénomène.
D’abord, la contrevérité qu’une job, parce que artistique ou simplement plaisante, ce n’est pas une vraie job. Pourquoi le travail ne pourrait-il pas relever d’une passion? Pourtant, on ne demanderait pas à un cuisinier qui trippe réellement sur la bouffe de le faire gratuitement.
Les artistes sont souvent les seuls à qui l’on demande l’octroi de services gratuits. Dans le contexte d’un événement, la question ne se pose pas pour l’équipe technique, le traiteur ou le fournisseur de bière : on les paie, c’est tout. L’artiste? Ben, ça lui fait de la visibilité, c’est de la promo. Faux! C’est du contenu. Jouer devant du monde, c’est pas automatiquement un « showcase ». L’artiste ne devrait pas se sentir mercantile de demander l’équité avec le gars qui sert le café.
Pour avoir booké une artiste en région, je vous assure qu’à 75%, les offres de spectacles, sous le prétexte que c’est de la promotion, ne sont associées à aucun cachet. Souvent, ce n’est même plus de la promotion, c’est de la surexposition. Si t’es prêt à jouer bénévolement, tu peux presque jouer à chaque deux semaines juste à Val-d’Or.
Payer pour le tuyau ou son contenu?
Je ne veux pas mettre le blâme sur le dos des producteurs et des diffuseurs. Leur situation est aussi assez précaire : on n’arrive même pas à se garder un lieu de diffusion alternatif dans chacun des 5 pôles. Et voilà où je veux en venir : les moyens doivent être disponibles pour pouvoir les utiliser. Je ne pense pas changer l’humanité avec cette phrase-là, mais ça demeure fondamental.
L’une des façons d’encourager les artistes est de payer pour la musique. (Au fait, j’aime pas vraiment le mot « encourager ». Ça alimente l’idée qu’ils sont comparables à des jeunes de 10 ans qui font des chandelles dans la piscine.) Mais encore faut-il avoir les moyens légaux à notre portée afin de l’acheter. Depuis la fermeture du disquaire l’Enchevêtré à Amos, je crois que les possibilités sont franchement réduites. Tant qu’à payer 25 $ pour un disque de Navet Confit, j’aime mieux me prendre un REER. Tant qu’à ajouter l’insulte à l’injure et acheter au Wal-Mart, je vais chanter les chansons dans ma tête.
Il faut s’adapter à notre réalité, en regard de la culture : les gens aiment que ce soit peu cher, accessible, simple et immédiat. Commander directement à la maison de disque (Indica Records et Grosse Boîte offrent par exemple un service de boutique en ligne), pour la plupart, c’est trop de démarches. Les gens ignorent un spectacle pour cause de partie de hockey hors-série, de petite dizaines de gouttes de pluie ou de Louis-José Houde à Tout le monde en parle, alors…
Ainsi, télécharger peut devenir beaucoup plus attrayant qu’acheter. Internet permet aux gens de consommer de la musique plus facilement ; le problème c’est que ce sont les fournisseurs d’accès Internet, les « tuyaux » qui apportent la musique, qui font la passe. Pas les créateurs, ni les ayant droits. L’enrichissement sans cause, qu’on appelle. À cet effet, au point de vue juridique, plusieurs solutions palliatives sont actuellement discutées. Pendant ce temps (qui peut s’étirer longtemps), plusieurs essaient de s’en sortir avec, entre autres, la vente de produits dérivés. Malheureusement, je ne pense pas qu’on vendra jamais assez de disques en vinyle pour faire contrepoids au déplacement de l’argent du droit d’auteur vers les vendeurs de bandes passantes. Peut-être Thom Yorke en sera capable. Mais sûrement pas Geneviève et Matthieu. Alors, allez donc voir des shows et achetez-y de la marchandise! Au nom de l’art, de la justice et de l’équité.
Juillet / Août 2010