J’aime les livres. Les choisir, en librairie, les tenir, les ouvrir, entendre la reliure qui craque et les pages qui se tournent. C’est une relation et un plaisir organiques. Jamais je ne lirai sur une tablette, un iBook, une liseuse, comme on dit. Je déteste le mot, d’ailleurs, qui fait trop « esclave féminine de qui on exige la lecture! » Il me manquerait ce contact du carton et du papier, ce mouvement des doigts pour tourner les pages, ce signet que l’on place pour indiquer où reprendre et qui nous laisse déjà envisager qu’il y aura une fin. Un livre est un objet unique, une œuvre d’art, avec sa couverture, ses couleurs, son image, ses caractères, ses illustrations.

 

Il y a un danger d’ailleurs, avec ces machines. La lecture face à l’écran est une lecture segmentée, attachée au fragment plus qu’à la totalité. En diagonale, en quelque sorte. On capte les grandes lignes. Du zapping mental. Lecture partielle, connaissance partielle, réflexion partielle. Et même si la technologie s’améliore, il restera toujours un écran seulement. Le livre n’a plus ses trois dimensions. L’écran présente la page à lire, point. C’est encore l’idée de l’instant d’abord qui l’emporte. L’instant, c’est la vitesse et la vitesse, c’est l’impatience.

 

Je poursuis, vous verrez le lien, avec cette nouvelle, sortie fin mars, et qui n’a pas fait grand bruit : d’ici 2014, l’enseignement de l’écriture manuscrite sera rendu facultatif dans pas moins de 45 États américains pour privilégier l’utilisation de logiciels de traitement de texte tels que Word. Danger ici aussi. Facultatif peut-être, mais les écoles subiront des pressions terribles. Que voulez-vous ? La mode est à l’écran tactile et le iPad est devenu l’outil numéro 1 contre le décrochage des garçons ! On va nous vanter la propreté, la flexibilité et la portabilité des écrits électroniques qui faciliteront la production et les échanges. Je gage pourtant ma prochaine paye de prof que les jeunes trouveront d’autres raisons pour remettre leurs travaux en retard !

 

On renonce volontairement à un savoir et à une habileté millénaires pour plier l’échine devant les machines. C’est prouvé pourtant : écrire, avec un crayon, implique davantage le cerveau que l’utilisation du clavier. Ça permet de structurer la pensée. Mais surtout, les mouvements d’écriture, faire ses lettres « à la mitaine », aident beaucoup plus à se représenter et à mémoriser les caractères et donc à les reconnaitre visuellement. Il est ainsi plus facile, et plus rapide aussi, d’apprendre à lire. Et d’aimer ça!

Le tout électronique, le tout informatique me font peur. J’y vois des chaines nouvelles. Et pendant ce temps, on passe plus de temps à parler de vitesse, de résolution, de mégapixels et de giga-octets, plus de temps à parler du contenant, alors que le contenu, lui, sur tous les écrans, laisse de plus en plus à désirer. La réelle inquiétude devrait être là, et non sur la largeur de l’écran du nouvel iPhone. J’y reviendrai…


Auteur/trice

Abitibien d’adoption, Valdorien depuis 20 ans, Dominic Ruel est enseignant en histoire et géographie au secondaire. Il contribue à L’Indice bohémien par ses chroniques depuis les tout débuts, en 2009. Il a été président du CA de 2015 à 2017. Il a milité en politique, fait un peu de radio, s’est impliqué sur le Conseil de son quartier et a siégé sur le CA du FRIMAT. Il aime la lecture et rêve d’écrire un roman ou un essai un jour. Il est surtout père de trois enfants.