« Elle avait vite compris que la seule chaleur de ce lointain Abitibi se trouvait dans le cœur de ses habitants. » (p. 88)
Native d’Authier-Nord, l’auteure décrit avec amour la région où elle a grandi, mais avec le recul d’une personne qui a passé des années à l’extérieur. Madame Bergeron a elle-même fait des études d’infirmière et a œuvré dans l‘industrie du bois de sciage (ce qui contribue sans doute à rendre ses personnages si crédibles, y inclus le propriétaire de la scierie qui porte, petite coquetterie, le nom de famille de l’auteur). La vie qu’elle raconte dans ce premier roman pourrait être la sienne comme celle de beaucoup de femmes qui sont devenues infirmières parce que c’était l’une des rares carrières qui leur était ouverte et qui leur laissait un minimum de liberté tout en leur permettant de jouer un rôle dans la société, entendre par là en-dehors de leur foyer, dans le Québec d’avant la Révolution tranquille.
L’histoire se déroule à deux époques : 1967-68 et 1941-43. Ici le passé détruit le présent en même temps qu’il bâtit l’avenir. Rosalie, l’infirmière, et Marc-Olivier, l’avocat, venant tous les deux de milieux favorisés, sont destinés à faire leur vie ensemble. La mainmise de l’église sur la société des années 40, incarnée par le redoutable curé Charles-Eugène Aubert, aura raison de cet amour pur et simple. Sous le manteau du silence nous entraîne dans ce monde glauque et insalubre du secret et du mensonge dans une église qui considère que « […] la seule utilité des femmes est de mettre au monde les enfants des hommes et de les élever. » (p.121). Rosalie, comme le roseau, sera obligée de plier, ce qui la poussera à fuir vers l’Europe en guerre, mais elle ne pourra pas rester loin de sa terre natale. Elle pense enfin vivre une vie tranquille, ordonnée et solitaire, dans le Québec de la fin des années 60, lorsqu’elle retrouve sur son chemin le chanoine Aubert qui réussit en mourant à ramener le chaos dans sa vie et à raviver sa colère face à un homme qui imposait son autorité et exigeait la soumission alors qu’il était lui-même immoral, mais au-dessus des lois.
La stratégie de commencer par la fin, puis reprendre l’histoire par son début, sert bien la narration même si cela donne un roman un peu prévisible, car les revirements aussi bien que la douceur de la voix racontant l’ampleur des drames dans les petits villages le rendent difficile à poser. En fait, l’écriture reflète le personnage principal : douce, tranquille et lente ; pourtant l’auteure nous fait ressentir tout l’émoi du personnage face à son passé. Le récit est agrémenté d’un vocabulaire riche et précis qui, même s’il manque de poésie, laisse paraître la profondeur de la douleur physique et morale que l’église a imposé à de nombreuses générations. Au-delà de la petite histoire sentimentale, madame Bergeron décrit ici la détresse des femmes dans une société dirigée par les hommes et ce faisant, une page de l’histoire de l’Abitibi et du Québec.