Courte recherche dans le dictionnaire. Autochtone : Qui est issu du sol même où il habite, qui n’est pas venu par immigration ou n’est pas de passage. Contraire : étranger. En théorie, nous serions l’étranger. Pourtant, l’histoire nous a peu à peu concédé du terrain, et l’autochtone, peu à peu, est devenu l’étranger, minorité visible en son propre pays. On sait que ce sont les gagnants qui écrivent l’histoire. Des gagnants qui ont souvent la mémoire courte…
En des temps obscurs et pas si lointains, ils étaient les sauvages, puis les Indiens; des noms qui témoignent de notre condescendance colonisatrice autant que de notre ignorance. Ensuite, et c’est peut-être mieux, quoique très large, on les a appelé les Premières Nations. Avec ou sans majuscules? Ou encore les Premiers Peuples? Devrait-on dire les Anishnabe? Et qu’en est-il des Cris et des Atikamek? En essayant de les nommer correctement, il m’apparaît comme une évidence la presque totale méconnaissance que l’on a d’eux. Ils vivent à côté de nous, à Pikogan, Winneway ou Kitcisakik, et on ne sait pas les nommer.
Quand on est incapable de nommer quelque chose, c’est que cette chose n’existe pas clairement dans notre conscience. Margot Lemire le dit depuis longtemps : « Pour exister, il nous faut nous nommer. » C’est avant tout dans l’imaginaire que nous prenons forme, sinon physiquement, du moins culturellement. Il y a onze nations autochtones au Québec; seriez-vous capables d’en nommer ne serait-ce que la moitié?
Pourtant, les autochtones étaient ici depuis des millénaires, avant que ne débarquent ces conquérants de l’Europe. Pourtant, ils ont contribué à notre histoire, à notre alimentation, à notre survie. Aujourd’hui, ils sont souvent, malgré eux, comme des ombres. En mars 2013, alors que des centaines de marcheurs autochtones arrivent à pied à Ottawa à partir des quatre coins du pays pour se faire voir, se faire entendre, le premier ministre Harper préfère accueillir des pandas chinois à l’aéroport. C’est ce qu’on appelle une fin de non-recevoir. Cette attitude en dit long sur les préoccupations du fédéral en la matière. Il reste encore bien du chemin à faire, donc, pour que les Premiers Peuples occupent activement la place qui leur revient. Pourtant, ils ont une culture bien vivante. Pourtant, ils sont présents.
« La culture en général, c’est quelque chose qui est toujours en évolution. Pourquoi nous, les autochtones, il faudrait qu’on soit comme il y a 100 ans pour être des vrais? Il y a dans la notion de culture plus que les manifestations artistiques. Ça comprend les valeurs, les lois, les modes de pensée, la langue, la spiritualité et plus encore. C’est complexe. Notre culture est en évolution aujourd’hui, mais ça ne veut pas dire qu’on n’a pas de culture », affirme Janet Mark, coordonnatrice aux dossiers autochtones de l’UQAT au service de la formation continue.
Si nous avons décidé d’accorder une place spéciale aux Premières Nations dans l’Indice bohémien, c’est d’une part pour souligner la Journée nationale des Autochtones du 21 juin, mais aussi pour remplir notre mandat de journal communautaire qui veut témoigner de la vitalité culturelle de tout le territoire de l’Abitibi-Témiscamingue. C’est aussi pour inscrire cette part du patrimoine humain dans le grand imaginaire collectif.
Et maintenant, au lieu de parler en votre nom, voisins autochtones, c’est à vous que je m’adresse.
Je suis certaine que plusieurs lecteurs ont aussi l’envie sincère de découvrir ce qui se cache dans votre univers parallèle au nôtre. Ayant côtoyé depuis l’école primaire des Kistabish, des Mowatt et des Mapachee, j’ai envie de savoir d’où vous vient votre incomparable sens de l’humour. J’ai envie de connaitre les six saisons de votre calendrier, votre vocabulaire, votre mode de pensée. Gageons que je ne suis pas la seule à souhaiter assister à un rassemblement ou un pow-wow en ne sachant pas où, quand, comment.
Nous n’effleurons ici que quelques expressions de votre culture, artistiques ou historiques. Nous n’avons pas de prétention, sinon de réitérer notre invitation au rapprochement entre les peuples, parce que plus on se parle, plus on se comprend. Forcément, plus on se comprend, moins on a besoin d’inventer l’autre dans un schéma trop souvent réducteur. Notre monde n’en sera que plus riche, humainement parlant.