PHILIPPE MARQUIS
Permettons-nous de respirer le temps du printemps! Les fenêtres s’ouvrent et la brise pénètre nos abris, au propre comme au figuré. Le vert reprend le dessus et les tondeuses entonnent leurs symphonies mécaniques. Ces sons semblent naturels au point où l’on pourrait dire qu’ils font partie de notre identité. Ici, il me vient une question : que deviendrait le gazon si nous cessions de le couper?
Il paraît que Louis XIV serait l’un des premiers à avoir ordonné la production de tapis végétaux. J’ai aussi lu que le pâturin des prés (le Poa pratensis, pour les intimes) représente la variété de gazon la plus répandue. On le dit très résistant à l’arrachage et au piétinement. Et puis, à quoi cela peut-il bien servir? D’abord, à se coucher dessus! Ensuite, jouer au soccer ou au golf au milieu des ronces ne serait pas pratique…
La pelouse, ai-je aussi entendu dire, devient populaire en Amérique après la Seconde Guerre mondiale parce qu’elle est signe de succès et de réussite. Vient aussi avec elle le désir maniaque de conserver son état de pureté. Cette volonté aboutit à une guerre couteuse et polluante pour conserver intacte l’apparence de ces couverts de verdure. C’est ainsi que l’arrivée des pissenlits provoque un traumatisme chez certaines personnes.
Et si nous arrêtions de le tondre? Un gazon dont on négligerait le soin, ressemblerait à une société où à une race, le pâturin des prés pour ne pas le nommer, ne serait pas privilégié au détriment des autres. Vive la diversité! Tout le monde a sa place de manière équitable. Que ce soient les femmes, les aînées et aînés, les membres de la communauté LGBTQ, les ouvrières et ouvriers, les afrodescendantes et afrodescendants, les immigrantes et immigrants, le personnel agricole ou minier, les journalistes, les artistes, les PDG, les caissières et caissiers ainsi que les chercheuses et chercheurs… Bref, l’inclusion sans condition.
Revenons au gazon. Puis, laissons-y s’y reproduire, d’abord le pissenlit, mais aussi la marguerite, la grande bardane, la verge d’or, le trèfle, l’asclépiade, le mil, la molène ou la linaire vulgaire, celle qui défit presque l’hiver. Il y a de la place pour tout le monde! Nos voisines et voisins, de même que les gens que l’on croise dans la rue, dans les festivals, autour des feux, rien de mieux pour la santé mentale que de leur parler, de les fréquenter et de les aimer. Qu’y a-t-il de plus bénéfique pour les êtres sociaux que nous sommes?
Avons-nous avantage à poursuivre ainsi dans une position d’exclusion qui construit des barrières imaginaires? Il n’y a pas de vaccins contre la bêtise, les stéréotypes, les préjugés ou les discours haineux. Lorsque les temps deviennent incertains et que les fins de mois arrivent vite, l’empathie a tendance à prendre le bord. Il est pourtant plus que temps de laisser les idées exotiques atterrir dans nos champs de vision.
Pour finir, je vous demande quels mots de cette chronique sont désormais bannis par le nouveau régime républicain des États-Unis? Pour vous aider, ils ont été mis en italique. Il ne s’agit que d’une petite sélection provenant d’une liste qui en contient plus de 250… Raison de plus de chérir notre jardin et ses herbes folles.