PHILIPPE MARQUIS 

Neige fine, bruine, grésil et pluie se déposent sur nos têtes assoiffées de paix… La lumière, de plus en plus présente, peut fort bien faire germer des idées libératrices. Je réfère ici à des pensées dénudées de calculs, ignorantes des statistiques ou des volontés machiavéliques. Des intentions généreuses et simplement humaines capables de changer l’histoire, celle que nous composons à chaque respiration en dépit des nuages indécis. Je songe à nous égarer le temps d’un début de printemps. Faire une pause pour s’extirper du chaos. Juste ça. 

Nous faut-il accorder tant d’importance à tant de choses? Tout ce qui n’a pas de cœur, dont on ne peut en entendre le battement? Tous ces signes de richesses ou d’endettement? Un nouveau char? Un iPhone chose? Si nous n’y sommes pas parvenus avec la pandémie dont nous commémorons le cinquième anniversaire ou lors des grands incendies de forêt d’il y a deux ans, peut-être que la crise actuelle va nous forcer enfin à l’essentiel.  

Si nous ne ressentons que l’hiver depuis janvier, comment anticiper en beauté ce qu’il y a sous la glace qui disparaît? Les traces laissées par une promenade avec une aînée sur le bord d’une rivière à l’orée de la débâcle? Réfléchir ensemble à notre avenir, à l’aide du bâton de harangue? Une escapade du monde virtuel? Remettre en état des canots pour voguer tout l’été? Réparer la machinerie agricole? Réfléchir aux plans du jardin? Rêver à la fin des classes? Laisser, sans crainte aucune, le soleil pelleter l’hiver dans le cours des eaux? Marcher en forêt? Savourer les couleurs de chaque instant? Lire des romans? Écrire un poème? Construire un caveau à légumes? Cuisiner avec les amis? Tant et tant de lumineuses actions de l’ombre. 

Photographe : Baptiste Mazet

Que cache donc encore l’épaisse couche de neige qui disparaît en avril? La feuillaison des amélanchiers, des bouleaux, des viornes, des mélèzes et des dizaines d’autres variétés d’essences arboricoles? Le retour des grues, les grandes apparentes, de même que de toutes les espèces d’oiseaux? Des herbes folles? Une révolte larvée qui fait irruption? 

Nous ne savons pas, il peut advenir n’importe quoi une fois notre saison chaude venue. Comme la destruction des règles démocratiques, aussi fragiles et contestables puissent-elles être, qui est à la base même du fascisme. Étant donné que c’est ce à quoi nous assistons dans l’empire du sud et que ses habitants y résistent maintenant par dizaines de milliers, il est nécessaire, à mon avis, de partir les semis d’une autre manière de vivre. Pour s’assurer que des rêves bienveillants envers la nature et le plus grand nombre puissent prendre racine en espérant un jour éclore. Quel autre choix avons-nous que de les cultiver au quotidien? 

On peut créer ça en avril comme au milieu du froid le plus barbare. 


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