DOMINIC RUEL
Depuis quelques années, il y a une volonté politique claire de revitaliser les centres-villes, ici, dans la région, et ailleurs au Québec. Ici, c’est Rouyn-Noranda qui bloque l’entrée des rues de son centre-ville pour en faire un espace piétonnier, plus animé, plus accessible et plus convivial pour fréquenter les commerces et les restaurants. La rue principale d’Amos s’est refait une beauté afin de redonner le goût aux gens de l’arpenter et d’y flâner, aussi, peut-être. Val-d’Or travaille encore à revitaliser son centre-ville, surtout la 3e Avenue, par des rénovations et l’installation d’un mobilier urbain nouveau, pour essayer de briser les perceptions négatives et d’y ramener les citoyennes et citoyens afin de se réapproprier l’espace.
Pour comprendre ces décisions et ces actions concrètes, une œuvre éclairante s’impose. Un petit ouvrage, un essai qui se lit facilement, écrit par Guillaume Éthier, un urbaniste, qui explique l’idée de La ville analogique (c’est le titre!), une ville qui rétablit les liens humains et des relations différentes entre ses citoyennes et citoyens, qui crée un sentiment d’appartenance fort, à l’opposé de la nouvelle ville branchée et numérique des réseaux sociaux, entre autres.
Guillaume Éthier part d’un principe qui semble évident : le centre-ville, c’est l’âme d’une ville, peu importe sa taille. Parce qu’un secteur peuplé de Walmart, de Costco, de Super C et de Canadian Tire, c’est partout pareil : des stationnements gigantesques, des boulevards à angles droits, du béton à perte de vue. C’est un paysage neutre, pareil partout. Sans identité, sans caractère et sans appartenance. En revanche, un centre-ville (mais aussi un centre de village!), c’est distinctif et unique : on s’y reconnaît. Un bâtiment, une affiche, un parc ou encore une sculpture permet de reconnaître les lieux où l’on se trouve : Rouyn-Noranda n’est pas Val-d’Or, Amos n’est pas Ville-Marie.
La thèse de Guillaume Éthier, c’est que le centre-ville permet justement cette ville analogique. C’en est l’axe, le cœur. C’est un rempart contre la cité numérique et virtuelle; c’est un lieu de la déconnexion. L’auteur ne rejette pas les bienfaits technologiques et numériques dans la gestion des espaces urbains. Ils sont utiles pour organiser la mobilité, la consommation des ressources et la sécurité. Cependant, l’urbaniste dénonce que, depuis les premiers iPhone, les téléphones intelligents, on parcourt la ville et ses quartiers les yeux sur l’écran pour ne rien manquer de ce qui se passe ailleurs. N’accusons personne! La ville actuelle a aussi eu moins de choses à offrir que la ville numérique : paysage souvent attristant, consommation rapide et privée, zonage qui favorise la séparation des activités. Les villes contemporaines, encore pour plusieurs, sont froides, elles manquent de fluidité. La ville analogique, que je définirai plus en détail dans une prochaine chronique, permet, selon le philosophe Peter Sloterdijk, « d’accueillir ces humains qui ne demandent qu’à se déprendre de temps à autre de la gelée interactive dans laquelle on est tous et toutes englués ». Les villes, un remède contre le virtuel.
On le verra, cette ville humaine, où la population se retrouve, devra être lente, tangible, intime et, oui, oui, imparfaite; l’imperfection étant la nature même de l’analogique, comme en musique.