Je me suis donné le défi de marcher davantage, d’une part pour retrouver la forme, mais aussi pour m’accorder le plaisir et le luxe de prendre le temps de tout suspendre pour simplement défiler au fil des rues et des sentiers.

J’opte souvent pour le début de soirée, quand tout est apaisé. Que les rues, désertées, se font silencieuses et calmes. Quelques fois, la lueur d’un téléviseur filtre de l’intérieur des maisonnées, ou encore une lumière à l’étage révèle la présence de quelqu’un.

Dans mes déambulations nocturnes, je croise des spécimens de cette faune qui se terre de jour, moufettes et renards, parfois un chat en balade ou des papillons de nuit qui s’ébattent sous les rayons de lune. Quelle chance avons-nous de vivre ces soirées apaisées où il est possible de défiler sans crainte parmi les âmes endormies.

Il m’arrive aussi, puisque personne ne regarde, de poser le nez dans une grappe de lilas et de la humer profondément, puis de refaire le même exercice après la pluie, alors que le sapin baumier suinte. Je respire à fond pour capturer un peu de ces tendres parfums encore, avant qu’ils ne s’étiolent jusqu’au prochain printemps. Ces effluves cèderont leur place à l’odeur du gazon coupé et des rosiers odorants.

Je marche, sur les trottoirs ou en bordure de rue. J’ai aussi un faible pour les ruelles qui pointent vers les arrière-cours. On dirait qu’on entre dans une autre intimité, plus discrète ou secrète, à l’abri des regards.

J’avoue avoir aussi un faible pour les caps de roche proéminents. Ils me fascinent, tant il y en a ici chez nous. Au milieu de la ville, à la sortie des villages, près des lacs surplombant l’horizon. Ce sont des saillies en masse brute, une volupté stérile toute en rondeurs et en crevasses. Des caps arrondis par le temps, moins irrités, plus sages peut-être, à force d’avoir vu passer les années. On y retrouve aussi des angles abrupts lorsqu’une cassure a eu raison du roc, ou encore des pentes douces où redescendre sans heurts.

Entre les stries, émergent par moment un bouleau résigné, une épinette aux airs de bonzaï ou des fleurs qui offrent un peu d’humanité dans un champ d’aridité. Ça donne à réfléchir…

S’il ne suffit d’un peu de matière féconde pour que s’enracine un arbre dans le roc, c’est qu’il y a lieu de croire qu’une fissure est possible dans tout blocus qui peut sembler immuable.

Le parfum des lilas est éphémère. Déjà, les feuilles des peupliers bruissent, celles qui n’ont pas été mangées par les chenilles, du moins. Vaste territoire de contrastes de plaines en friche et de lacs à mousses. C’est la beauté de pouvoir voyager sans aller bien loin, de se dépayser en quelques kilomètres de route. D’ailleurs, c’est la tendance voyage pour l’été 2024 : faire proche. Selon un sondage mené par CAA-Québec, 57 % des Québécoises et Québécois resteront dans la province. Aussi, la hausse du coût de la vie a freiné le budget pour 54 % des personnes ayant répondu au sondage.

Je ne recherche pas les tendances, mais si « la norme » croise ma route, je ne bouderai pas la trajectoire. Les lieux et les sources d’évasion, de même que les occasions de saisir le temps ne manqueront pas.

Je poursuis ma promenade dans le jour apaisé et la fraîcheur du soir. Il y a, sous l’édredon étoilé, des plis des nuits passées. Parfois, rien ne bouge, d’une journée de calendrier à une autre. Comme si le temps se figeait au moment d’arrêter les pas du quotidien. Il y a une forme de contemplation dans le sentiment de se sentir flâneur et solidaire dans le désert urbain.

Je regagne néanmoins mon intérieur, je tamise à mon tour la lumière. D’autres personnes déambuleront peut-être en empruntant les mêmes sentiers, les mêmes détours, les mêmes bouts de trottoirs à la recherche d’un temps perdu, de morceaux d’étoiles ou de traces d’aurores à capter.


Auteur/trice

Lise Millette est journaliste depuis 1998, tant à l'écrit qu'à la radio. Elle a également été présidente de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). En Abitibi-Témiscamingue, elle a été rédactrice en chef de L'Indice bohémien en 2017 et depuis, elle continue de collaborer avec le journal.