Les gens de la grand’ville s’amusent à dire que nous vivons très loin, dans une « région » perdue dans le bois. Ce terme est généralement utilisé pour désigner tous les ringards vivant à l’extérieur d’une certaine ile (ironiquement nommée « région administrative de Montréal »).

Les ruraux étant minoritaires pour la première fois de l’histoire mondiale, il faudra s’attendre à tenir tête aux villes pour ne pas disparaitre. Politiquement, déjà, il faut sans cesse justifier notre utilité économique auprès de l’État. Il le faut parce que la vitalité de nos villes et villages dépend grandement des budgets alloués aux institutions de développement.

Puis, dans les rues des centres urbains, bien des conversations entre exilés et citadins aboutissent en débat sur les avantages et inconvénients de la vie en « région » par rapport à la vie dans les grands centres.

Mais pourquoi diable sommes-nous si fiers d’être nés ou de vivre en Abitibi-Témiscamingue? Surtout, d’où nous vient cette fierté? L’hypothèse posée ici est la suivante : c’est le fait de l’isolement. Celui-ci, en tant que mythe, mais aussi et en tant que réalité géographique, semble contribuer à maintenir l’identité locale.

La vraie vie est dans l’arrière-pays

Il est désormais très commun d’entendre dire, de la bouche des gens d’ici, que l’Abitibi-Témiscamingue est une terre « isolée ». Le terme est vague, mais on entend généralement deux choses. Le premier sens repose sur l’idée que les ruraux mènent une vie paisible qui s’apparente au passé traditionnel, en « retard » sur les villes.

Selon cette optique, les « vrais » Québécois authentiques se trouvent dans l’arrière-pays, ici, où les champs sont fleuris et les gens, moins pressés. Ce cliché est fondé sur une représentation romantique du rural. Selon cette conception, isolement et tradition seraient deux inséparables. Cela devient plus désagréable lorsqu’on creuse davantage, car il est entendu que nous vivons à une époque antérieure, selon des coutumes anciennes, loin derrière la modernité des villes.

Ainsi, nous serions isolés par rapport aux centres urbains, ouverts sur le monde actuel. Il n’est pas faux que nous sommes moins « cosmopolites », mais il ne faut pas pousser cette opposition trop loin. Si cela signifie que nous sommes coupés du globe, c’est absolument erroné. Au contraire, nous habitons des villes et villages modernes, très « branchés » (c’est un mot à la mode). Une mine appartient aux Suédois, le café du coin aux Américains et la banque… ce n’est pas clair. Le marché alimentaire vend des carottes importées d’Israël alors qu’elles poussent très bien au Témiscamingue.

Nous sommes liés à la société globale. Bref, on a beau combattre ces stéréotypes, il faut avouer que cette image d’authenticité nous unit. À tort ou à raison, on a tendance à se prendre pour des résistants. La fierté nait du fait que nous nous percevons ainsi. Plus les villes s’étalent, plus ce sentiment identitaire parait grandir.

Des trésors ignorés

Il est vrai que nous sommes physiquement éloignés des centres urbains, c’est indéniable. On parle d’isolement géographique. Ce fait vient certainement favoriser l’émergence de l’identité régionale. Excentrés, on se croit loin du vacarme. On sait que non loin, les géants du sud avalent les campagnes, se nourrissent de nos jeunes pousses, puis deviennent titans. Mais, on ne s’en fait pas trop; c’est de la résistance tranquille. En fiers Gaulois, on célèbre notre particularité, jalouse nos forêts et brandit nos symboles. On aura bientôt besoin d’un drapeau (voilà une proposition).

Enfin, on n’y pense pas souvent, mais deux grandes richesses se retrouvent en abondance dans notre coin de pays : l’espace et l’eau. Sachez que notre région est aussi vaste que le Costa Rica et moins peuplée que l’Islande (ce qui n’est pas peu dire : y’a pas un chat là-bas). Aujourd’hui même, dans bien des pays, on se pile sur les pieds. En Allemagne, bien que cela soit bien vivable, ils sont plus de 200 habitants par kilomètre carré. Ici, on n’est pas trois (y’a pas même l’ombre d’un chat). Puis, de l’eau douce à perte de vue, en veux-tu en v’là! Le chemin pour venir chez nous donne déjà un bon avant-gout de la chose. Regardez la réserve La Vérendrye, on aurait mieux fait de ne pas construire de route et de faire du portage. Il y a 4000 lacs et rivières, un voyage qui ferait pleurer n’importe quel Touareg. En plus, des arbres à perte de vue. Du point de vue des ressources, nous sommes milliardaires.

Mais au diable tout cela, les gens des régions ont d’autres choses à offrir que le territoire. On ne peut pas marchander ce qu’on ne possède pas vraiment, par ailleurs. Il est plus sage de conclure que le territoire nous façonne davantage que nous le transformons. Que ce royaume est précieux parce que nous sommes liés à lui. Que nous sommes loin, à l’abri des bouleversements de la mondialisation, tranquilles, chez nous. L’important, c’est d’y croire avant tout, n’est-ce pas?