Tourner sa langue sept fois avant de parler. Faire preuve de retenue pour ménager les sensibilités. Refuser de se commettre pour ne pas se retrouver dans un coin. Décider de faire comme si rien n’était arrivé de crainte de perdre un privilège ou son emploi. Ravaler ses pensées pour éviter de possibles reproches. Préférer ne rien dire parce que les esprits s’échauffent ou que le ton d’une discussion s’envenime. Choisir la neutralité parce qu’on n’a pas la force d’entrer en conflit. Opter pour se taire parce qu’on est « le plus fin des deux ».

Les forces qui nous poussent à la retenue sont multiples. Or, la retenue a de bien qu’elle évite de s’exposer à des tirs nourris. De plus, lorsqu’on se met en action, il arrive qu’au lieu de faire croître ses ailes, des jeux d’influence ou de pouvoir réussissent à miner toute tentative de partage d’une parcelle de soleil.

Des luttes de pouvoir, il y en a dans toutes les organisations. Politique, conseils d’administration de toute nature et de tous les milieux, comités – rémunérés ou non –, syndicats, organismes communautaires, milieux scolaires, milieux de travail. Certaines personnes les exercent de manière positive, pour créer un tirant d’eau qui ferait en sorte de rallier les gens dans un même courant. Pour d’autres, il s’agit d’exercer une mainmise, de se hisser à un sommet pour que peu de choses suffisent à réduire les autres au silence.

Le désir d’exercer un rôle prédominant n’est pas toujours nourri d’une volonté de servir le bien ou les intérêts communs.

Des quêtes, souvent bien personnelles, sont menées, parfois même sous des vocables inspirants ou sous prétexte de grandes aspirations.

Avez-vous déjà fait exploser un sac de croustilles en le pressant de chaque côté? Inévitablement, même si le mouvement est lent ou graduel, la constance de la pression finit par céder une ouverture. Pas toujours à l’endroit anticipé. Parfois, c’est par le fond que le sac se fend en premier.

De la même manière, ce n’est pas toujours le maillon le plus faible qui peut baisser pavillon en premier lors de vents contraires, ou lorsque le taux de négativité atteint des niveaux dangereusement élevés.

L’appétit pour changer les choses ou pour tenter d’obtenir mieux se perd dans les dédales de la hargne.

La ligne est mince entre la lucidité, le réalisme et la fatalité. L’idéalisme se nourrit d’espoir. L’espoir agit comme une flamme que l’on entretient, qui peut croître, mais un souffle trop brusque en aura raison.

Il y a, dans tous ces lieux d’échanges et de communication, une importante charge négative qui se construit au fil des ans et qui devient particulièrement toxique. Une toxicité qui contraint à la peur et qui musèle. Ces forces négatives se font entendre très fort et de manière affirmée, laissant dans l’ombre une imposante majorité silencieuse qui choisit la retenue.

Ce n’est pas le confort de l’indifférence, mais plutôt l’évitement de la confrontation stérile. Une confrontation qui ne permettrait pas de progresser puisque les positions sont campées. Avec ou contre nous. Le binôme des temps modernes.

C’est d’une tristesse. D’une tristesse parce que l’élan est là. L’élan, il existe, mais il couve. Un peu comme ces arbres des sous-bois qui sont là, en latence, et qui attendent une branche cassée dans les gros spécimens pour que naisse une trouée, qui leur apportera un peu de soleil afin d’amorcer leur poussée vers le haut.

Il m’arrive d’avoir l’idéal fané et de trouver refuge à l’intérieur de moi-même ou en me plongeant dans un livre.

J’ai l’idéal qui s’étiole, mais nous voilà en mai. En mai, en Abitibi-Témiscamingue, le printemps apporte une lumière neuve et le Salon du livre, des promesses pour nous tirer des bruits ambiants, pour nous éloigner des échos qui nous drainent.

Peut-être que ces autrices et auteurs qui ont mis du temps à écrire l’ont aussi fait alors qu’ils étaient en refuge à l’intérieur d’eux-mêmes et que, de ces pressions délicates sur les touches d’un clavier, ils ont fait éclater leur imagination pour apporter un peu de lumière. J’ose y croire. Plongeons dans la lecture pour nourrir l’idéal ou nous soustraire à un marasme paralysant.


Auteur/trice

Lise Millette est journaliste depuis 1998, tant à l'écrit qu'à la radio. Elle a également été présidente de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). En Abitibi-Témiscamingue, elle a été rédactrice en chef de L'Indice bohémien en 2017 et depuis, elle continue de collaborer avec le journal.