Le carillon a repris ses habitudes estivales. Il pend au coin de la remise, à nouveau exposé au vent qui le caresse pour jouer une berceuse. Au moment où vous lirez ces lignes, les branches du lilas se balanceront doucement en attendant de fleurir. Le printemps diffuse sa musique tandis que moi, je vous écris une partition de mots. 

La majorité silencieuse est-elle dérangée par mes notes? Cette question m’est venue à la suite d’un échange avec un élu. Il m’a simplement dit : « Tu sais comme moi, Philippe, que monsieur et madame Tout-le-Monde ne partagent pas tes idées. » 

Alors là, camarade, je salue ton oreille qui arrive à entendre le silence et à le traduire aussi bien que moi qui imagine le vent chanter! Proposer et partager des visions est une chose, affirmer savoir ce que pensent les gens en est une autre. Surtout lorsque cela ne fait aucun bruit, tu saisis? Cette position, que dis-je, cette prétention de savoir ce que tout le monde a dans la tête n’a pas son pareil pour imposer un avis. Curieusement, la majorité des personnes qui usent de ce genre de stratagème ont, c’est ce que j’ai constaté, des points de vue aux tendances conservatrices. 

Pour ma part, j’affirme que la majorité silencieuse désire vivre pour que toutes et tous s’entraident. Je suis certain de cela, car je l’ai entendu murmurer entre les branches. Je sais aussi que tout le monde veut avoir le temps de regarder la pluie tomber sur les lacs pendant l’été, de croquer dans les pousses annuelles, d’entendre le son de la brise qui change avec la feuillaison, de s’endormir sur l’opéra des grenouilles et de s’éveiller avec les exhortations des rayons de soleil.  

Je peux vous jurer que l’immense majorité des gens de mon pays aime se faire bronzer l’esprit par la chaleur d’un feu de bois et souhaite briller dans la vie comme les tisons dans l’air. Elle espère aussi voir les humains être respectés, bien nourris, bien logés, soignés et éduqués. Elle a hâte aussi, oui, elle a hâte, que le quotidien se frappe au hasard pour que la routine sorte de son lit comme rivière en débâcle. Tout cela afin que nos réflexes soigneusement nourris par les modes puissent se dévêtir des idées reçues. Tout cela surtout afin de ne pas laisser la peur dicter nos pensées. Tout cela pour ne plus permettre à des gens de parler en notre nom. 

Parce qu’on me dit qu’il y a toujours deux côtés à une médaille, je réponds que la terre est ronde, que nos vies et notre avenir ne se tirent pas à pile ou face. Que mes mots ne vous conviennent pas, soit, il n’y a aucun problème, mais ne venez pas me dire que vous parlez au nom du plus grand nombre, car dès cet instant, je ne nous écouterai plus. 

La nature, elle, je l’entends fort bien et je m’entends mieux avec elle qu’avec le poids d’une majorité inventée et surtout qu’avec les personnes qui croient l’incarner. Cela dit, j’imagine que le gros bon sens de monsieur et madame Tout-le-Monde saura me comprendre. 


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