Printemps 2022, la Fonderie Horne fait à nouveau parler d’elle. Sur toutes les lèvres, elle les gerce de sa controverse… de sa contamination qui expose ses voisins à un risque élevé de développer un cancer du poumon. De là est né Arsenic mon amour, le premier ouvrage de la nouvelle collection Brûlot des Éditions du Quartz.
Dans les quelque quarante pages d’introspection, Jean-Lou David et Gabrielle Izaguirré-Falardeau livrent leur vécu, leurs questionnements, leurs réflexions et leurs émotions par l’entremise d’une correspondance s’étalant de juillet à novembre 2022. Dans ce genre épistolaire, les auteurs se dévoilent. Jean-Lou fait partie de ceux qui viennent de la Bittt à Tibi. En plus d’être né à Rouyn-Noranda, il est le descendant de générations qui s’y sont ancrées jusqu’à y creuser leur tombe dans la faille. Quant à Gabrielle Izaguirré-Falardeau, elle respire l’arsenic depuis « l’hiver de ses quatre ans ». Même si elle n’est pas de souche, elle n’a « jamais été autre chose que rouynorandienne », avoue-t-elle.
L’amour, l’attachement et le sentiment d’appartenance à la ville meurtrière font partie des contrastes que les correspondants mettent en lumière, ou en noirceur, en parlant de sa beauté et de sa laideur, de sa nature vivante et morte, de sa moralité et de son immoralité, de son passé et de son présent. Justice et injustice, résistance et obéissance, confiance et trahison, vie et profits… D’un côté, il y a Rouyn et de l’autre, Noranda; deux entités qu’un trait d’union ne suffit pas à raccorder. Ici, il y a l’enraciné jusqu’à la moelle qui y vit toujours; ailleurs, il y a celle à l’identité ébranlée qui a choisi de s’en éloigner. À travers ces paradoxes, entre le choix de prendre la parole ou de se taire, le duo fait combat commun : « il ne sera pas question de se fermer la gueule. »
De ces lettres émanent les retentissements d’une relation toxique entre le narcissisme pervers de la Fonderie Horne et de sa ville complice et l’ensemble des anonymes qui survivent ou meurent sous son joug insidieux. Sur et entre les lignes, on lit la douleur des auteurs, celle de leur émergence face à une dure réalité… Ils font partie des victimes de ce « monstre de fer qui ronfle dans la ville ». Tous les signes sont criants. Parce que la perverse narcissique est charismatique et séduisante : « La compagnie faisait ruisseler sur la ville la promesse d’une vie américaine confortable. » Parce qu’elle a une emprise : « J’y suis trop intimement attachée. » Parce qu’elle repère les plus vulnérables : « Des quatre coins de la Terre, des gens désœuvrés […] vinrent en grand nombre s’abreuver à la mamelle énorme du veau. » Parce que, et ce, jusqu’à ce que la victime prenne conscience de son véritable amour, non pas pour son bourreau, mais plutôt pour l’image qu’elle s’en était créée : « Je ne sais pas si j’ai correctement aimé ce territoire, ou seulement l’idée que je m’en faisais. »
Le ton n’a rien d’humoristique ni d’ironique. L’intention est à la fois didactique (instruire, informer, expliquer), dramatique (faire ressentir l’amour-haine qui habite les auteurs), polémique (susciter le débat) et poétique (faire appel à la beauté esthétique du langage, à un rythme et à une prose imagée). Enfin, pour apprécier Arsenic mon amour à sa juste valeur et comprendre la quête qui se cache derrière deux plumes qui se font écho, il y a des préalables, soient ceux de connaître les principaux repères géographiques de la ville, d’être au fait de l’actualité entourant le drame et d’avoir une âme littéraire bien nourrie.