Il y a Alexandre Castonguay, comédien, et Nicolas Lauzon, enseignant en anglais au primaire. Un jour, ces deux hommes de Rouyn-Noranda ont décidé de se courtiser artistiquement. Ils voulaient écrire ensemble, frotter leur univers à celui de l’autre pour voir les flammèches surgir. C’est qu’ils écrivent aussi, de la fiction poétique pour le premier et de la poésie pour le deuxième. Celles et ceux qui ont l’oreille fine et la curiosité aiguisée ont déjà vu passer, il y a un an, les sessions d’écoute du Festival du Jamais Lu Mobile. Dans le ventre de l’Agora des arts, on a alors pu entendre l’histoire d’Un coin jeté dans l’Nord, le texte écrit par ce monstre créatif hybride qu’est l’auteur à deux têtes. Jamais Lu, c’est un organisme qui travaille sur l’émergence du texte théâtral. Un coin jeté dans l’Nord, c’est un texte de théâtre, un récit universel, une fable aux allures de tragédies grecques.

HORS DES SENTIERS ATTENDUS

Le travail d’écriture entre les deux hommes est un travail qui oscille entre le jeu et la compétition sportive. En effet, comme le projet ne répondait à aucun appel de texte de revue ou dossier de demande de bourse, les auteurs ont pu prendre leur temps. C’est un luxe rare, le temps, dans le monde de la création artistique, car il y a toujours une date butoir, une première version, un bilan à rédiger. Mais pas cette fois. Pas pour eux. Ils ont pu user de plusieurs stratagèmes pour aiguiser leur plume, pour entremêler leurs styles, pour accoucher d’une grande histoire. Ils s’offraient des rendez-vous planifiés durant lesquels ils réécrivaient sans cesse la même petite histoire, pour en piquer le cœur, ou encore où ils se dépassaient dans des concours de pliage de serviettes, pour le réalisme, pour mieux raconter le geste.

Leurs rencontres ont permis d’échafauder le texte Un coin jeté dans l’Nord, et après le Jamais Lu, il y a eu la publication chez Atelier 10, une maison d’édition qui propulse le théâtre contemporain et émergent québécois. Le fun aura été payant, assurément.

LES TRAGÉDIES DES TEMPS MODERNES

Alors, il raconte quoi, ce texte qui a déjà tant voyagé? Il raconte la fin d’une ville mono-industrielle qui n’a pas de nom, car elle pourrait être n’importe où. Dans cette ville revient la femme. Elle a établi sa vie ailleurs, mais doit revenir régler des comptes avec son passé. Il y a aussi l’homme, et le père. Ces personnages anonymes n’en sont pas moins grandioses. Ils possèdent en eux tout le combat universel que mène l’homme pour vivre et pour conserver son territoire. Ils trainent ce désir comme une cape de plomb, car le succès industriel, lui, n’est pas au rendez-vous. La fin s’annonce magistrale, mais la fin de qui, de quoi? Il faudra suivre leurs sentiers jusqu’au bout des quais pour saisir tous les enjeux et leurs dénouements. Ce texte nous empoigne les trippes sans les lâcher, et la construction calquée sur celle des tragédies grecques classiques ne fait qu’augmenter notre immersion dans le texte. Ce n’est pas jojo, les tragédies, mais ça nous propulse dans notre monde humain intérieur et extérieur en même temps.

Le livre a connu un heureux lancement à la librairie-bar Livresse, située dans le Vieux-Noranda, à l’ombre des cheminées. Un décor tout à fait en raccord avec l’histoire.


Auteur/trice

Après avoir enseigné le français, le théâtre et la littérature au Cégep de l’Abitibi-Témiscamingue, Gabrielle Demers oeuvre dans le domaine de la pédagogie universitaire. Elle s’adonne aussi à la performance, aux installations artistiques et aux arts imprimés. Elle se questionne sur les enjeux actuels liés à la féminité dans l’espace public, entre autres.