Depuis une dizaine d’années au Québec, on assiste à une révolution agricole qui remet en question le modèle traditionnel de culture imposé dans les années 1960, moment où nos producteurs sont passés d’une agriculture de subsistance à une agriculture industrielle. Trois enjeux principaux sont au cœur de cette révolution : la qualité de nos sols, l’accessibilité des terres pour nos jeunes agriculteurs et l’adaptation des stratégies d’affaires. De nombreuses initiatives ont vu le jour récemment dans la province – publications, projets, séries télé – soulignant à gros traits la nécessité de faire de l’agriculture autrement, mais aussi et surtout l’intérêt réel qu’a le grand public pour cette question. Ce mouvement, inspiré notamment par des porte-étendards comme Jean-Martin Fortier – le jardinier maraîcher – lui-même influencé par des piliers de l’agriculture biologique comme Eliot Coleman aux États-Unis, fait son petit bonhomme de chemin. Le Québec est actuellement en train de faire doucement sa place dans l’univers de l’agriculture innovante, durable et rentable. Et de la relève, il y en a plus qu’on le pense.

C’est dans ce contexte que la municipalité de Lorrainville a lancé son projet des « petites terres ». Mis en branle il y a huit ans par le maire de Lorrainville, Simon Gélinas, et la préfète du Témiscamingue, Claire Bolduc, ce projet vise à rendre accessible à des aspirants-agriculteurs 4 lots de terre de 25 acres chacun situés à la sortie du village de Lorrainville. Si l’on connaît depuis peu la formule locative de petites terres au Québec, les projets offrant la possibilité de devenir propriétaire sont plutôt rares, ce qui rend cette occasion d’autant plus intéressante. L’appel de projets, qui s’est déroulé du 4 mai au 14 juin, a attiré des entrepreneurs de différentes régions du Québec, notamment de Lanaudière, mais aussi, bien sûr, de l’Abitibi et du Témiscamingue.

Le comité de sélection, constitué du maire de Lorrainville et de trois agronomes, dont Vincent Fluet, fondateur de la ferme Écobourgeons à La Sarre, se base sur plusieurs critères afin de sélectionner les projets, mais le principal est celui de la culture biologique. Parallèlement à cela, et selon la grille d’analyse du projet disponible sur le site Internet de la municipalité, les membres du comité privilégient des projets qui, par exemple, permettent d’augmenter la diversité de l’offre des produits agricoles aux consommateurs témiscamiens, d’améliorer la biodiversité, mais aussi de favoriser l’attraction et d’améliorer le bien-être des populations existantes et des nouveaux résidents sur le territoire. Au respect de ces critères s’ajoute celui de l’objectif financier. En effet, la municipalité s’attend à ce que le profit de chacun des lots totalise 25 000 $ brut au bout de 3 ans, dont 5 000 $ doit être réalisé la première année.

Si certains peuvent trouver le Témiscamingue un peu éloigné des « grands centres » davantage situés du côté abitibien, il faut savoir que Lorrainville et Saint-Bruno-de-Guigues, deux municipalités non adjacentes, mais proches l’une de l’autre, sont les deux pôles agroalimentaires du Témiscamingue, tient à souligner le maire Gélinas. En effet, des entreprises déjà bien implantées comme la ferme Nordvie, la fromagerie Le Fromage au village ou encore les miels Abitémis génèrent déjà un tourisme qui ne demande qu’à être nourri. De nouvelles entreprises commencent également à s’y implanter, comme la charcuterie européenne Extrem’Boreal, mise sur pied par Bernard Flébus, ancien maire de Ville-Marie.

L’emplacement des petites terres est un atout en ce qui concerne l’agrotourisme, puisque ces dernières sont situées entre la cyclovoie de la ligne du Mocassin, qui mène d’Angliers à Ville-Marie, et la route 391. Les espaces de terre cultivable donnent directement sur ces deux voies passantes, la portion forêt étant disposée entre les deux.

L’autre atout du site des petites terres est sa diversité. En effet, les agriculteurs y trouvent de la terre cultivable, évidemment, mais aussi de la forêt, et une portion de dunes. Le sol, principalement constitué d’argile déjà travaillée, contient également une partie sablonneuse. De l’eau est accessible grâce à un esker qui traverse les lots. Un chemin est déjà aménagé afin de permettre la circulation vers les futures demeures qui doivent être construites sur les parties forestières côté route 391, car oui, les petites terres ce n’est pas seulement un projet agricole, mais également résidentiel, à saveur communautaire.

Cette variété permet aux agriculteurs de développer des projets de natures diverses, ce qui n’est pas sans importance, car si la proximité des terres peut être un atout indéniable dans le développement d’un cercle d’entraide, elle peut aussi être vue comme un défi dans le processus de mise en marché des produits de ces quatre fermes.

Si le comité a dû se buter tout au long du processus de développement du projet à des refus de la part de la Commission de protection du territoire agricole du Québec ainsi que de l’Union des producteurs agricoles, il est aujourd’hui lancé, et il intéresse population et dirigeants. Des MRC d’ailleurs au Québec ont contacté M. Gélinas afin de s’informer et d’évaluer les possibilités d’implantation de ce genre d’initiative dans leur région.

Ce projet, comme tout projet novateur, suscite bien sûr des questions. Qu’en sera-t-il de la rentabilité? De l’insertion de nouveaux joueurs venus d’ailleurs dans un petit marché d’agriculture de proximité? De l’accès à une machinerie adaptée et du logement des familles pendant la première année? Il sera très intéressant de suivre l’évolution de ce projet et de découvrir les stratégies innovantes qui seront développées afin de répondre à ce défi que pose Lorrainville aux agriculteurs du Québec.

Ce qui est certain, c’est que le projet des petites terres est bien de son temps, en ce sens qu’il prend en compte les grands enjeux de la révolution agricole qui s’opère actuellement au Québec, misant sur l’accessibilité à la terre, la production biologique et de proximité. Il est intéressant de souligner, en terminant, que si le projet des petites terres est concluant, 4 autres lots de 25 acres seront mis à la disposition d’autres aspirants-agriculteurs.


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