Une nouvelle année commence et les défis qu’on pensait laisser derrière nous sont plus que jamais présents. Confinement, couvre-feu, télétravail. Si on pensait que ça avait été difficile au printemps dernier, personne ne pouvait envisager l’ampleur du sacrifice qui serait à faire dans la durée. C’est comme la différence entre faire une randonnée de 10 km en forêt et escalader l’Everest. C’est là que se mesure la véritable capacité à fournir un effort soutenu, la résilience, la motivation. 

 

Depuis le début de l’année, Big Bro Book me ramène le souvenir du jour, me rappelant à quel point la vie d’avant était plus fluide. À pareille date l’an dernier, je commençais un grand et fabuleux projet de création dans une école primaire avec 425 élèves. J’avais une vie sociale relativement normale, j’accompagnais fiston en tournoi de soccer à l’extérieur de la région. J’allais voir la famille dans le 514 et le 450. C’était avant. Depuis, le monde s’est rétréci et ce qui pénètre dans ma maison passe par un écran. 

 

Même si la nouvelle normalité s’installait depuis plusieurs mois dans les milieux de travail, j’avais échappé à tout ça, le virtuel. Mes mains travaillaient encore de la vraie matière, sur un lieu physique, avec des coéquipières à mes côtés. Et me voilà devant de nouveaux défis professionnels, et comme bien des enseignants du Québec et d’ailleurs, je dois non seulement préparer la matière que je vais enseigner, pour laquelle je suis heureusement « spécialiste », mais je dois apprendre des notions de pédagogie de base, et maintenant les outils et réflexes de technopédagogie qui me seront nécessaires afin de ne pas perdre tous mes élèves d’un coup dans la brume de la démotivation scolaire. Je me demande qui de moi ou des étudiants devra apprendre le plus… 

 

Je n’avais pas encore saisi l’ampleur du niveau d’adaptation que ces nouvelles réalités ont exigé de plusieurs. Travailler de la maison à travers le brouhaha de la vie quotidienne, dans le ménage pas fait, à côté de l’ado qui reçoit ses cours à distance lui aussi. Travailler habillé en mou a peut-être certains avantages, mais l’usure qui s’opère en douce à toujours être dans le même lieu, à ne pouvoir faire de coupure mentale entre le boulot et la maison, on en mesure mal les effets délétères. La difficulté de se concentrer à la tâche, de sentir l’esprit d’équipe, d’avoir l’avis spontané du collègue qui d’habitude partage le même espace. Malgré tout, c’est quand même mieux de se voir via un écran que de ne pas se voir du tout. 

 

En effet, la pandémie a sans aucun doute accéléré le développement des technologies et des savoir-faire nécessaires à la survie des choses, à distance : créer, enseigner, apprendre, communiquer, soigner, coordonner. Étrangement, en Abitibi-Témiscamingue, les institutions d’enseignement avaient pris ce virage depuis longtemps, occupation du territoire et démocratisation de l’éducation obligent. C’est quand même intéressant de constater qu’elles sont bien outillées pour réagir à la situation avec tant d’efficacité. Le reste du monde emboite le pas autant que faire se peut, même si bien des enjeux de sécurité de l’information surgissent, même si des protocoles médicaux doivent être revus, même si plus rien n’est comme avant. Il ressortira de tout ça des avantages qu’on ne mesure pas encore pleinement, mais dont il faudra tirer sagesse et connaissance : plus de souplesse dans les horaires, dans les façons de mesurer l’efficacité et le temps de travail, etc. 

 

Quand on est en « région éloignée », on comprend vite qu’on gagne à estomper la distance physique avec la technologie. Si ce n’était de l’inconstance et des couts longtemps exorbitants de la distribution internet, la région ferait figure de leader en ce qui concerne le développement du numérique et des savoirs nécessaires à son déploiement. Autant l’industrie que le monde de la culture et de l’enseignement y participent. 

 

Toutefois, ce n’est pas parce que je me rends à l’évidence de la nécessité de s’adapter aux technologies de communication que j’y suis forcément dans ma zone de confort. Comme pour plusieurs, ce n’est pas si naturel. J’oscille entre l’effort que ça me demande de me familiariser avec ces outils et la joie de découvrir de nouvelles façons d’être en contact avec les autres. Et c’est dans cette recherche d’équilibre que je ferai mon chemin. 

 

Ce qui retient mon attention, ce n’est pas tant la capacité des individus à s’adapter, qui est quand même le propre de tout ce qui est vivant. C’est la capacité de certaines personnes à voir venir le changement ou à le provoquer. Ce n’est pas donné à tout le monde de pouvoir penser out of the box. Et au risque de me répéter, ça devrait être une matière en soi dans les cursus scolaires : « Créativité et innovation ». Les visionnaires illuminés et inventifs pensent les choses autrement, trouvent des solutions parfois même avant que les problèmes se pointent. Parce que bien avant de se trouver sur une affiche à l’entrée d’un ministère, l’innovation commence dans la tête de celles et ceux qui ont la capacité de générer des idées neuves. C’est valable pour les artistes, bien sûr, mais aussi pour les ingénieures, les entrepreneurs, les chercheuses, les scientifiques, les professeurs. Et quand le monde est en perte de repères, c’est rassurant de savoir qu’il y a des personnes douées d’un esprit bouillonnant capable de générer de la lumière au-delà des horizons parfois obscurs. 

 

Je cède maintenant la place à une autre plume, du moins pour une pause de quelques mois. Je souhaite remercier les lectrices et lecteurs fidèles qui ont pris le temps de me lire depuis quelques années. Ce fut un réel plaisir de vous lire en retour. À la prochaine!  


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