Je l’ai croisé au début octobre. Il était coiffé d’une casquette rouge Trump 2020. Mon choc a été grand, car nous ne sommes pas en Alabama, mais à Rouyn-Noranda. Après un solide échange sur le message qu’il portait fièrement, il me lance : « Tu vas voir, Trump va gagner avec 90 % des votes! Les médias sont achetés, il faut pas les croire! Fais tes recherches, comme moi, tu vas comprendre! » Alors, je l’ai suivi sur les réseaux sociaux pour saisir comment on pouvait défendre pareilles idées.
Le hasard me fait tomber à nouveau sur lui à la mi-novembre. Il m’explique la défaite du milliardaire républicain aux élections par des millions de votes volés. « C’est une fraude historique. Ça va aller devant les tribunaux et Trump va être président! » Il avait raison, c’est allé en cour. Mais la soixantaine de contestations du scrutin devant des tribunaux de tous niveaux, dans plusieurs États, n’a abouti à rien. Même des juges nommés par Trump, dont deux fois ceux de la Cour suprême, n’y ont pas donné suite, faute de preuves. Ça ne démonte pas celui qui inspire ma chronique : « Tous ces juges sont achetés par les grosses business, m’écrit-il. J’ai vu des vidéos où on montrait des milliers de bulletins brûlés. Fais tes recherches! » répète-t-il.
À la mi-décembre, il raconte, sur les réseaux sociaux, que l’acte d’insurrection et la loi martiale seraient prononcés bientôt aux États-Unis. Cela aurait donné des pouvoirs dictatoriaux au président. Ce n’est pas advenu non plus et il a peu publié depuis. Durant les fêtes, j’ai consulté souvent des liens sur lesquels il m’avait pisté. Au début de l’année, on y annonçait que ça brasserait à Washington le 6 janvier, jour où le congrès et le sénat américains officialiseraient la victoire de Biden. Cette prédiction-là s’est réalisée…
La lutte à la pandémie est un autre sujet de désaccord entre nous. « Ce sont des histoires inventées. Je prends de la vitamine C et je n’ai pas de problème. Les gouvernements nous contrôlent. Ils veulent un gouvernement mondial. Fais tes recherches, tu vas va voir! Moi, je ne suis pas un suiveux : je ne me laisserai pas faire. Je ne suis pas seul, tu vas voir la révolte s’en vient! »
Constatant que je ne me range jamais de son côté, il me dit : « Je ne comprends pas qu’un gars comme toi, Marquis, ne soit pas d’accord avec ça! C’est quoi que tu fais dans la vie? » Je réponds que j’enseigne. « Ha! C’est normal que tu penses comme ça : tu ne vas pas parler contre le gouvernement qui te paie! »
La révolte de ce gars est très grande et profonde. Elle ne se dirige cependant pas contre les mêmes objets que la mienne. Je ne veux pas couper le dialogue et j’essaie de comprendre comment il se fait que beaucoup en soient rendus là. Comment défaire les idées conspirationnistes? Je fais mes recherches dans ce but et nous invite à la plus grande vigilance. Car le climat actuel fait penser à celui de l’Allemagne et de l’Italie des années 1930, dans un autre siècle pas si lointain…