Comme prof au secondaire, j’ai vécu le printemps scolaire désastreux de l’école à distance. J’étais donc bien heureux de retrouver des élèves en chair et en os en septembre dernier. Mais la pandémie persiste et la menace d’une fermeture partielle ou complète des écoles plane encore au-dessus de nos têtes. C’est un scénario qu’il faut repousser le plus possible, voire ne jamais appliquer. 

 

Mais les plus anxieux de la contagion et aussi les pro-techno réclament ce télé-enseignement. Pour tout le monde, du primaire à l’université. Nous sommes en 2020! Comme si c’était un argument solide. Bien sûr, nous en avons les capacités technologiques. Par contre, possibilité technique ne signifie pas efficacité pédagogique, surtout pour les plus jeunes élèves. Pensez-vous qu’apprendre à lire par Skype est faisable? L’enseignement à distance offre des avantages, mais qui concernent probablement plus les étudiants plus âgés ou les adultes en formation, qui ont une motivation plus grande : flexibilité des horaires, adaptation au rythme de chacun, etc. La bonne vieille classe offre beaucoup plus d’avantages. Elle permet un vécu, un ancrage spatial et sensoriel des apprentissages. La dynamique de groupe peut créer un fort sentiment d’appartenance. La collaboration avec les pairs permet de développer des habiletés sociales, etc. 

 

Surtout, mais surtout, c’est la présence de l’enseignant qui est essentielle. Enseigner est un acte physique : voix, intonation, mouvement, non-verbal. C’est un peu beaucoup du théâtre aussi, c’est ouvrir des parenthèses, c’est proposer une discussion, c’est répondre aux questions spontanées, c’est encourager, c’est féliciter et c’est réprimander. Bref, enseigner, c’est entrer en relation. Les études le prouvent : la qualité de la relation que l’enseignant entretient avec ses élèves fait une différence majeure sur leur persévérance et leur réussite scolaires. Cette qualité, elle s’établit face à face, sans logiciel, sans caméra, avec des stratégies comme le soutien, la chaleur, les attentes élevées, la proximité et certains comportements non verbaux. 

 

Dans les années 1950, à Boston, on rêvait de machines qui rivaliseraient d’intelligence avec les humains. On pensait y arriver en une trentaine d’années. Un philosophe du nom de Hubert L. Dreyfus est reconnu pour avoir, rapidement, soutenu que cet objectif était inatteignable. En 2008, il restait sceptique sur les promesses de l’enseignement à distance. Il disait cette superbe phrase : « Les zélateurs de l’enseignement à distance […] doivent comprendre que seuls des êtres humains incarnés, impliqués et sensibles peuvent devenir compétents et experts et que ceux-là seuls peuvent devenir des maîtres ». Repensons à nos années comme élèves, à ces profs qu’on a aimés, qui nous ont marqués, qui ont transmis une passion, qui ont donné le gout d’un choix de carrière, qui ont écouté et consolé. Rien de cela ne peut se faire à distance, devant un écran ou par courriel et fichier-joint. 


Auteur/trice

Abitibien d’adoption, Valdorien depuis 20 ans, Dominic Ruel est enseignant en histoire et géographie au secondaire. Il contribue à L’Indice bohémien par ses chroniques depuis les tout débuts, en 2009. Il a été président du CA de 2015 à 2017. Il a milité en politique, fait un peu de radio, s’est impliqué sur le Conseil de son quartier et a siégé sur le CA du FRIMAT. Il aime la lecture et rêve d’écrire un roman ou un essai un jour. Il est surtout père de trois enfants.