Depuis le début du confinement, en mars, de nombreux artistes se montrent créatifs dans leur approche de l’art et de la littérature. Antoine Charbonneau-Demers, diplômé en Lettres du Cégep de l’Abitibi-Témiscamingue, est justement l’un des auteurs ayant publié un texte lors de cette période inhabituelle. Pour son troisième livre, le jeune écrivain a décidé de rendre publique une autofiction, soit une histoire basée sur la réalité, mais dont certains faits peuvent être modifiés à l’insu du lecteur.
L’histoire et sa relation avec l’imaginaire
L’histoire racontée explore la vie sexuelle et affective troublée d’Antoine avec un amant surnommé Daddy. On y voit également les angoisses et les paradoxes de l’auteur solitaire, qui désire être le tout premier à publier en période de confinement.
Les thèmes abordés dans ce livre sont semblables à ceux traités dans ses deux premiers romans, comme l’angoisse chronique et les conflits relationnels, mais ce nouvel ouvrage se démarque par la démarche artistique empruntée lors de l’écriture. En effet, inconditionnel d’un onirisme où le lecteur ne sait plus discerner le vrai du faux, présentant des protagonistes plongés dans les méandres de la folie, Antoine Charbonneau-Demers a préféré, cette fois, écrire un livre réaliste.
Ainsi, l’écrivain rompt avec sa propre plume qui donnait des traits de fantaisie à l’histoire, ce qui permet de plonger totalement dans la tête du personnage. En effet, le livre est principalement composé de pensées éparses et embrouillées : il n’y a que très peu de place à la narration.
Cet effet est renforcé par l’empressement avec lequel l’histoire a été écrite et le nombre de pages peu élevé (moins d’une centaine). Le livre a un effet brouillon sans pour autant être bâclé, comme des pensées qui tourbillonnent sans ligne directrice. Elles ne semblent pas donner de sens clair à l’œuvre, mais elles ont tout de même une corrélation entre elles et forment un tout.
Si vous aimez les bouquins avec un schéma narratif classique, clair et défini (un début, un milieu et une fin) ainsi qu’une conclusion heureuse, ce livre n’est pas fait pour vous. Par contre, si vous aimez les expérimentations littéraires et l’étrange, le trouble et les émotions déstabilisantes, c’est une lecture qui saura vous plaire. Dans tous les cas, vous n’y resterez pas indifférent. Après tout, comme on le dit si bien dans le livre : « La littérature se cache souvent là où il n’y en a pas. » (Christine Angot)
Un texte littéraire?
D’ailleurs, peut-on bel et bien parler de littérature? Pour beaucoup de personnes ayant étudié dans le domaine des livres, les textes d’autofiction ne sont pas considérés comme de la littérature. Certains vont plutôt arguer que c’est un nouveau genre et qu’il mérite d’avoir sa place sur les tablettes. On pense notamment à Nelly Arcand, l’une des Québécoises ayant lancé le genre, et dont il est question dans le livre d’Antoine Charbonneau-Demers.
En effet, de tous les temps, les érudits en littérature ont rejeté la nouveauté en la traitant comme une « sous-littérature ». Il a fallu longtemps avant qu’un courant littéraire soit reconnu comme tel et la plupart des auteurs ont vu leur popularité prendre leur envol après leur mort. Aujourd’hui, avec l’éducation obligatoire, la capacité de lire n’est plus réservée à une simple élite et les styles littéraires se diversifient rapidement. On voit l’émergence de nombreux auteurs et de nouveaux genres. Parmi ceux-ci, certains s’essouffleront rapidement et d’autres marqueront l’histoire de la littérature, seront considérés comme des courants littéraires.
Actuellement, on ne peut pas savoir ce qui sera perçu comme de la grande littérature dans le futur. Par contre, on peut se questionner : est-ce que le fait de rendre la lecture plus accessible, de ne pas la réserver aux universitaires signifie qu’on perd le droit de qualifier un texte d’œuvre littéraire?
Qu’on aime ou pas Daddy, par exemple, il ne s’inscrit pas moins parmi les œuvres d’un auteur issu de l’époque contemporaine, où l’expérimentation est au cœur de l’avancée littéraire. Un écrivain écrit des livres : c’est la base de la littérature. On a toujours considéré le travail des artistes dans leur globalité et pas seulement par rapport à un seul texte. Antoine Charbonneau-Demers ne fait pas exception.
Pour des discussions animées
En somme, Daddy n’est pas un livre comme les autres. Il suscitera des émotions et des réactions très différentes selon son lectorat. Par contre, après l’avoir lu, on ne manquera pas de sujets à aborder avec ses proches au retour du confinement. Après tout, un bon livre n’est pas forcément un texte que l’on aime, mais dont on se souvient longtemps après sa lecture.