Naïvement, je l’avoue, j’ai longtemps cru que le rôle des différents ministères était de mettre en place des processus et des règlementations visant à établir les meilleures façons de faire dans leur domaine respectif (éducation, santé, agriculture, condition féminine, immigration, ressources naturelles ou environnement, affaires municipales, etc.). Que le gouvernement existait pour veiller au bien du plus grand nombre, pas juste pour prélever des impôts et construire des routes. C’est très naïf, je sais.

 

Mis à part en politique municipale, il n’existe que très peu de structures permanentes où les citoyens ordinaires peuvent exercer une forme de pouvoir. Cela leur permet donc d’établir une relation de confiance avec le gouvernement, un genre de contrat moral, croyant qu’il y a, au sein de cette organisation, une volonté de bien faire et une compétence pour le faire, même si personne n’est à l’abri des modes et des erreurs humaines. Peu d’entre nous mettent en doute les grands principes qui nous gouvernent et peu ont les moyens de s’informer en profondeur sur tous les enjeux de l’heure.

Pourtant, il y a plus d’agent(e)s de communications et de relations publiques qui fabriquent les informations que de journalistes d’enquête aptes à les remettre en question. Difficile de bien s’informer, même dans les bureaux de l’Assemblée nationale et de la Colline parlementaire. Les élu(e)s de ce monde croulent souvent sous la pression des influenceurs qui ont le bras long et qui dirigent l’information. Beaucoup y perdent leur latin et leurs illusions.

Petit exercice qui n’a rien de scientifique : dans les mots-clés du moteur de recherche du registre des lobbyistes du Québec, on obtient 1248 inscriptions en inscrivant « ressources naturelles ». On en obtient plus de 2000 pour « environnement » et 539 pour « eau ». Je me demande combien d’organismes communautaires existent pour leur faire contrepoids et réussissent à se faire entendre dans les lieux de décision?

Heureusement, il y a des gens qui se trouvent au carrefour entre la science, l’éthique et l’information et combinent leurs connaissances à des qualités humaines appréciables : le respect de l’autre, la vision à long terme, le bien commun. Ce sont des vigilants, des sceptiques, des curieux, souvent des entêtés. Ceux et celles qui se tiennent debout pour leurs convictions. Ceux-là, ce sont les citoyennes et citoyens engagés, qui se battent littéralement contre des géants aux visées strictement économiques qui ne tiennent compte en aucun cas du bien public. L’Indice bohémien en présente quelques-uns dans ce numéro consacré à l’environnement.

Qu’on les appelle militants ou lanceurs d’alerte, leurs armes ne sont que celles de la mobilisation citoyenne et de la diffusion de l’information, qui se fait au prix d’un engagement personnel qui peut coûter cher. Qui peut coûter sa job à un agronome du MAPAQ, par exemple. Sans parler de Julian Assange, à une autre échelle. Il s’agit peut-être d’éveilleurs de conscience. La présence de ces personnes est à mon avis essentielle à la sauvegarde de ce qui reste de démocratie quand les lobbys se sont emparés des sphères du pouvoir.

Je pense à Louis Robert, à Alain Deneault, à l’Action boréale, au Comité de sauvegarde de l’esker Saint-Mathieu-Berry, à Coule pas chez nous et à tous ces groupes de défense du bien commun. Sous le gouvernement libéral, on a songé avec le projet de loi 56 à les obliger à s’enregistrer au registre des lobbyistes du Québec, au même titre que ceux du pétrole, de la finance, de la pharmaceutique et des compagnies minières. Si l’idée a l’air trop grotesque pour être vraie, ces lobbys font pression sur le gouvernement jusqu’à ne pas reconnaître la différence entre ceux qui ont de l’argent à faire avec un projet et ceux qui risquent d’y perdre la qualité de leur habitat. Normal que le dialogue soit difficile. Normal, et même nécessaire, que des citoyens se lèvent pour dire haut et fort qu’il faut civiliser les ogres!

Or, les corporations ont des moyens que les groupes de défense n’ont pas et n’auront jamais. Le gouvernement devrait financer les groupes indépendants de recherche et de protection du bien commun, surtout dans le domaine de l’environnement où les conflits d’usage se multiplient. En écho à la chronique de Jacinthe Châteauvert dans le numéro d’avril dernier, il devrait impérativement adopter une législation mettant les lanceurs d’alerte à l’abri de congédiements abusifs ou de poursuites-bâillons. Il en va de la santé publique.

Il n’est pas normal qu’on oppose systématiquement les défenseurs du territoire à ceux du développement économique. Il doit bien y avoir d’autres façons de faire qui permettent un usage partagé des ressources. Le problème, c’est que les industries privées sont souvent opaques et les notions de partage des bénéfices ne concernent que leurs actionnaires et très peu la population locale. Appliquons ça aux usines d’embouteillage, aux gazoducs, oléoducs, pipelines et à tous les risques environnementaux inhérents, le public y gagne quoi par rapport à ce qu’il risque d’y perdre? Il faut la poser, la question, parce qu’elle est légitime. Trop souvent, le profit est privé et les risques sont publics. L’argument de la création d’emplois à court terme ne fait pas le poids.

L’engagement des éveilleurs de conscience vise à remplacer le travail de protection du bien commun que nos gouvernements ne savent pas toujours faire. Parce qu’en fait, nos gouvernements sont de moins en moins autonomes, de moins en moins souverains, et on finit parfois par se demander pour qui ils travaillent.

À lire :

http://indicebohemien.org/chroniques/2019/04/sommes-nous-a-l-abri-de-l-ingerence#.XLXidZNKjo0

https://quebec.huffingtonpost.ca/bruno-masse/lobby-quebec-loi-reforme_b_5907350.html

https://rqge.qc.ca/lobbyisme/

http://rqasf.qc.ca/files/memoire-lobby-obnl.pdf


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