La conversation. Pas le parle-parle, jase-jase. Non. La discussion, celle avec le verre de vino à la main : politique, religion, société. Celle d’après minuit, car c’est dans la nuit qu’on parle de l’existence de Dieu. Celle des idées et des débats. C’est qu’on a fait le tour rapidement avec la météo et l’échange de P.K. Sur Internet aussi, même si ça dégénère de plus en plus. Il reste des intervenants qui ne multiplient pas les injures ou les émoticônes de merde.

 

Il y a ceux avec qui on est en accord, ceux qui nous confrontent passionnément, mais intelligemment (pas toujours !). Et ceux que j’appelle les tueurs de conversations. Ils sont parfois de la famille, ce sont peut-être des collègues. Par une phrase creuse, leur fermeture, ils nous jettent dans un cul-de-sac : la discussion est alors finie.

 

Parler politique peut être passionnant. Élections, programmes, souveraineté, ça se jase des heures durant entre hommes de bonne volonté. Mais vous aurez celui qui vient mettre la switch à off : « C’est tous des pourris ! ». Le même qui n’aime jamais le Bye bye, faute d’avoir compris la moitié des références. La conversation se termine à ce moment. Elle est morte par manque d’arguments, par cynisme aussi. Qui voudra la reprendre ? Les chercheurs américains Elif et Cengiz Erisen affirment « qu’être entouré d’amis proches limite la réflexion politique. Les personnes qui se connaissent depuis longtemps sont plus susceptibles d’adhérer aux mêmes idées ». Mais il faudra que les lointaines connaissances aient plus de substance.

 

Et quand vient le temps de parler de l’islam et du burkini ! Des thèmes qu’on approche avec des perches de dix pieds. Impossible de partager son agacement. Comme si on ne pouvait aller au bout des idées. Les mots « raciste » et « islamophobe » sont vite dits. L’échange s’arrête là, que peut-on dire de plus ? Répéter qu’on ne l’est pas ? C’est comme sortir en ville et dire à tout le monde qu’on ne trompe pas sa femme. À la longue, ça devient louche. La conversation est morte par amalgame douteux et mauvaise foi. C’est le « chantage à l’islamophobie », selon le philosophe Régis Debray, qu’il considère intolérable. « La critique d’une religion ne se confond pas avec l’injure faite aux fidèles de cette religion ». Vous êtes avertis !

 

Pour le féminisme, même chose. Souvenez-vous du tollé créé par la ministre Thériault qui ne se reconnaissait pas comme « féministe ». Et des politiciens, des artistes, des chroniqueurs ont après juré qu’ils l’étaient. Un peu comme l’islam : ne jamais s’opposer aux règles convenues par les bien-pensants de la justice sociale une certaine gauche ou les organisations subventionnées. Vous serez alors un macho, un enfant du patriarcat. La conversation ne se fait même pas : n’essayez pas de vous dire égalitariste ou humaniste, surtout si vous êtes un hétéro blanc. Vous êtes alors l’oppresseur, le parfait modèle.

 

La prudence est donc de mise : météo, P.K., Le Banquier. Ça durera des heures ! \


Auteur/trice

Abitibien d’adoption, Valdorien depuis 20 ans, Dominic Ruel est enseignant en histoire et géographie au secondaire. Il contribue à L’Indice bohémien par ses chroniques depuis les tout débuts, en 2009. Il a été président du CA de 2015 à 2017. Il a milité en politique, fait un peu de radio, s’est impliqué sur le Conseil de son quartier et a siégé sur le CA du FRIMAT. Il aime la lecture et rêve d’écrire un roman ou un essai un jour. Il est surtout père de trois enfants.