Les Américains ont, politiquement, le don pour nous dérouter. Pour inventer des personnages, leur donner des destins. C’est le rêve américain, toujours. Capables d’élire Reagan, un acteur de séries B, comme président, capables d’élire W., le fils à papa, parce qu’il jouait au cow-boy, capables de lui faire succéder un intellectuel, articulé, noir en plus, pour sa magie. Et arrive Trump, le promoteur milliardaire qui joue la carte de l’extrême.

Trump, président des États-Unis ? Ça fait encore rire. Candidat républicain ? À peine sourire. Il accumule les victoires aux primaires. On se gratte la tête, on se dit qu’il fera l’erreur qui le coulera. Il a pourtant déjà promis un mur entre son pays et le Mexique et la fermeture des frontières aux Musulmans. De grosses pelures de bananes, ça, et pourtant… On s’inquiète, on cherche une candidature de remplacement : « M. Romney, reprendriez-vous le flambeau, comme en 2012 ? Clinton n’est pas Obama, vous savez… » On peut se foutre de la gueule des Américains, mais Trump est là. Rubio, Jeb Bush ont jeté l’éponge. Le personnage étonne et détonne, mais le phénomène s’explique.

Il attire les gens frustrés, désabusés, ceux qui souffrent, il se présente comme l’ennemi de Washington et de Wall Street. Il présente l’image d’un incorruptible (il est milliardaire !), d’un guerrier. Il aborde, avec maladresse certainement, des sujets délicats, mais essentiels : immigration, intégration, sécurité. Il redonne aussi de l’éclat à la marque USA : « Make America great again! »

Plus encore, Trump incarne, à sa façon, l’homme providentiel. Qu’est-ce ? L’historien Didier Fisher explique : c’est celui qui va aider la nation « à dépasser ses difficultés afin de retrouver l’ordre des chose ». Il est le produit « d’une vision profondément conservatrice de la société, une société jugée incapable de trouver en elle les ressources nécessaires à son propre salut ». Les Français connaissent : Napoléon, Pétain, De Gaulle. Et les Américains aussi : Washington, Lincoln, Roosevelt, Bush II. L’équation est simple : ça va mal, il nous faut donc quelqu’un qui va nous sortir du trouble. C’est « un personnage qui apparait dans les périodes de crise, et qui se présente comme le sauveur ultime chargé d’une sorte de mission historique », selon Jean Garrigues, historien lui aussi. Bernie Sanders, lui aussi, du côté démocrate, a joué la Providence et il a ébranlé Clinton. Oui, c’est une solution tentante, mais facile. Et brève. Toujours selon Fisher, l’homme providentiel cesse rapidement d’en être un, souvent à l’épreuve du pouvoir. La déception vient vite. Regardez Obama, l’aura a disparu.

Trump ne sera pas élu président. Je peine à l’imaginer avec les codes nucléaires ou dans les corridors feutrés de la diplomatie mondiale. Mais il aura envoyé un message clair aux dirigeants de partout : offrez un horizon, arrêtez de cacher ces seins qu’on ne saurait voir et jouez cartes sur table. Au peuple ensuite de se méfier des messies ! \


Auteur/trice

Abitibien d’adoption, Valdorien depuis 20 ans, Dominic Ruel est enseignant en histoire et géographie au secondaire. Il contribue à L’Indice bohémien par ses chroniques depuis les tout débuts, en 2009. Il a été président du CA de 2015 à 2017. Il a milité en politique, fait un peu de radio, s’est impliqué sur le Conseil de son quartier et a siégé sur le CA du FRIMAT. Il aime la lecture et rêve d’écrire un roman ou un essai un jour. Il est surtout père de trois enfants.