C’est le 18 mars dernier que se sont tenues les 5es délibérations nationales du Prix collégial du cinéma québécois (PCCQ). Samy Girard, finissante en Arts et lettres, profil cinéma du Cégep de l’Abitibi-Témiscamingue, s’est rendue à Québec pour débattre du choix régional avec les autres délégués des cégeps de la province. Voici les critiques de cinq étudiants de la région pour chacun des films en lice cette année.
1er choix des collégiens de la région : Guibord s’en va-t-en guerre
La mince ligne entre absurdité et vérité
// Rosemarie Talbot
Steve Guibord, un député fédéral, obtient la balance du pouvoir. Indécis, il consulte son stagiaire, sa famille et ses électeurs, qui se sentent peu concernés. Guibord s’en va-t-en guerre, comédie politique de Philippe Falardeau, est présenté avant l’élection fédérale canadienne de 2015. Critique de la politique, le film est teinté d’absurdité et d’ironie grâce à une suite de problèmes et à Souverain, stagiaire du député.
D’abord, l’abondance de péripéties que doit surmonter Guibord apporte de l’absurdité. Les innombrables petites actions dynamisent le film (la route toujours bloquée, par exemple). Chaque incident, petit ou grand, est réglé avant d’être remplacé par un nouveau problème qui vient interrompre Guibord dans sa quête : celle de voter.
Ensuite, Souverain ajoute de l’ironie et amène un humour intelligent au film. Le jeune homme, bien qu’étranger, est le personnage le plus au courant de la politique canadienne. Il apporte les réponses aux problèmes de Steve Guibord et le motive à agir. Souverain semble être plus impliqué dans la politique que le député et les électeurs.
En conclusion, Guibord s’en va-t-en guerre présente un portrait humoristique saugrenu de la politique avec son abondance de situations satiriques et avec le personnage complexe de Souverain. //
Guibord s’en va-t-en guerre, Canada, 2015. Un film de Philippe Falardeau avec Patrick Huard, Irdens Exantus, Suzanne Clément et Clémence Dufresne-Deslières. Durée : 111 minutes.
2e choix des collégiens de la région : Corbo
Corbo, l’oiseau oublié
// Alison Fortin
C’est durant la Révolution tranquille que Jean Corbo fait la rencontre de deux jeunes propageant l’idéologie de l’indépendance prônée par le Front de libération du Québec (FLQ). Encore peu défini dans ses convictions, Corbo rejoindra ce groupe d’activistes radicaux. Dès 1960, les Canadiens français deviennent Québécois. Ils revendiquent leur propre culture. La frénésie vers l’indépendance est commencée. Tout comme le Québec, Jean Corbo effectue une quête identitaire.
Lors d’un souper regroupant sa famille italo-québécoise, Jean assiste à un débat concernant des opinions politiques divergentes. Son effacement montre qu’il n’a encore aucune valeur à défendre. Peu après cet évènement, ses convictions commencent à prendre forme grâce à son intérêt envers le FLQ. C’est lorsque Jean rencontre Mathieu, dirigeant du FLQ, que sa recherche identitaire prend un sens. Il ne veut plus être défini par sa classe sociale aisée, mais comme militant posant des actions concrètes au bénéfice de la population. Un peu comme le Québec refuse d’être caractérisé par sa métropole et désire une identité unique. Cette scène importante, manquant toutefois de naturel dans les dialogues, dirigera le récit vers le destin ultime de Jean Corbo. \
Corbo, Canada, 2015. Un film de Mathieu Denis avec Anthony Therrien, Antoine L’Écuyer et Karelle Tremblay. Durée : 119 minutes.\
3e choix des collégiens de la région : Le Profil Amina
Le Profil Amina : entre réalité et fiction
// Martine Cayouette
Le Profil Amina est un film documentaire qui relate l’histoire d’un personnage virtuel sorti de l’imagination d’un Américain de 40 ans. Lorsqu’Amina met en scène son enlèvement, le mensonge devient une affaire mondiale qui remet en question l’utilisation des médias. À travers ce récit, Deraspe manipule intelligemment les codes du cinéma pour créer un documentaire telle une fiction, comme l’a fait Thomas J. MacMaster avec le profil Amina.
La réalisatrice crée un montage en parallèle entre des archives de la Syrie, des scènes fictives et des entrevues afin d’augmenter la tension narrative. Un montage judicieux entre des publications d’Amina et des images de manifestations ajoute du réalisme au récit. Les plans utilisés s’apparentent à sa réalité. Deraspe joue donc adroitement avec les effets du montage pour manipuler le spectateur.
De plus, le documentaire est réalisé comme un film policier. On enquête sur l’existence d’Amina en questionnant journalistes et blogueurs pour élucider le mystère. Les entrevues présentent les éléments qui mènent au doute, appuyé par l’entrevue de la BBC qui dévoile le vol de photos, et par la découverte de l’homme derrière le profil. Au point médian du film, on suit l’enquête d’Ali Abunimah (The Electronic Intifada) qui nous révèle l’homme qui se cache derrière Amina : Thomas MacMaster. Finalement, Sophie Deraspe scénarise son documentaire pour déjouer le spectateur, comme MacMaster l’a fait avec Amina, par la juxtaposition des archives du conflit syrien et les publications du blogue ainsi que par sa ressemblance à un film policier. \
Le Profil Amina, Canada, 2015. Un film de Sophie Deraspe avec Sandra Bagaria, Thomas J. MacMaster, Ali Abunimah, Andy Cavin et Rami Nakhla. Durée : 84 minutes.
Le lauréat du Prix collégial du cinéma québécois : Chorus
Chorus, une symphonie dramatique
// Sami Audet
Chorus met en scène un couple hanté par la disparition de leur enfant 10 ans plus tôt et le moment où le corps de l’enfant est retrouvé. François Delisle a construit brillamment son film tel une fable poétique sur le deuil. D’abord, l’histoire est racontée sous la forme de plusieurs points de vue, en film choral. De plus, le réalisateur nous fait valser entre les histoires afin de donner chaque fois un peu plus d’information, ce qui tient le spectateur aux aguets. Ensuite, Delisle joue avec le film expérimental pour créer une fable poétique. Premièrement, le film est en noir et blanc, ce qui accentue l’atmosphère du passé des personnages et le moment où on retrouve les ossements de l’enfant. Deuxièmement, le réalisateur utilise la narration à certains endroits dans le film, où les personnages lisent un poème à haute voix lorsqu’ils sont seuls. Cela ajoute un aspect poétique au film ainsi qu’une certaine lueur d’espoir pour les personnages. Pour conclure, le montage, la construction du récit ainsi que l’expression expérimentale du film font ressortir un aspect poétique de la fable qu’est Chorus. \
Chorus, Canada, 2015. Un film de François Delisle avec Fanny Malette, Sébastien Ricard, Antoine L’Écuyer et Luc Senay. Durée : 97 minutes.
Autre film en lice pour 2016 : Félix et Meira
Le vide, la contrainte et l’incrédule
// Pierre Auclair
Jeune mère juive hassidique, Meira a énormément de difficulté à s’épanouir dans son milieu. Elle se rapproche de Félix, un jeune héritier dépourvu d’ambitions. Cette proximité est source de tensions entre Félix et Shulem, le mari de Meira. Félix et Meira est le 3e long métrage de Maxime Giroux. Il a reçu un accueil chaleureux, comme en témoignent les nombreux prix qui lui ont été décernés. Une des particularités du film est le cheminement des personnages qui prennent place dans des environnements différents tout en étant de natures similaires.
Dès le début, les univers respectifs de Félix et Meira sont mis en relation. Les protagonistes sont distants de leur entourage. Félix est plus éloigné et représente peu d’intérêt tandis qu’on s’attarde à Meira qui complète son exil. Celui-ci est plus pénible puisqu’elle est attachée à sa famille et à son mari. Shulem souhaite son bonheur même s’il est dépassé par les évènements.
Ayant des relations ténues avec sa famille, Félix cherche l’amour, la stabilité, alors que Meira étouffe dans sa communauté omniprésente. De plus, son jeu minimaliste affirme sa quête de liberté. Finalement, ils aboutissent à Venise dans un décor de carte postale, mais le réveil est brutal. Une fois qu’ils ont obtenu ce qu’ils cherchaient chez l’autre, leur « couple » est remis en question. \
Félix et Meira, Canada, 2014. Un film de Maxime Giroux et Alexandre Laferrière avec Hadas Yaron, Martin Dubreuil, Luzer Twersky. Durée : 105 minutes. \