Travailler pour un journal culturel régional, c’est avoir l’occasion d’assister à de très nombreux événements culturels. En fait, l’offre est beaucoup trop grande, limitée par mon incapacité à être omniscient. C’est pour cette raison que j’ai envoyé en mission mes parents, Sylvain et Francine [leur nom n’a pas été changé dans le cadre de cet article. Allô papa, allô maman!], afin qu’ils assistent à l’Ultime Sketch, le 28 août dernier au Petit Théâtre du Vieux Noranda. Étant eux-mêmes de jeunes « vieux » à l’aube de la soixantaine, je me disais qu’ils étaient probablement le public cible pour une pièce de théâtre écrite, interprétée et mise en scène essentiellement par des résidents de Bleu Horizon, complexe pour retraités actifs. Et soyons honnêtes, je me disais qu’un show écrit et joué par des vieux risquait un peu de m’ennuyer, en raison du rythme et des référents culturels très différents des miens. On en reparle à la fin de cet article, si vous permettez. Place au spectacle.
L’Ultime sketch est une comédie burlesque écrite par Réjeanne Gaudet, auteure et scénariste d’expérience, elle-même résidente de Bleu Horizon, épaulée par Rollande Vézina à la mise en scène, qui a une dizaine d’années d’expérience en théâtre amateur. La pièce est jouée par 21 comédiens, qui ont un âge moyen de 78 ans, et dont la plupart foulaient la scène pour la première fois de leur vie. Il faut le faire.
L’action se déroule aux portes du paradis, alors que Dieu, St-Pierre et des anges reçoivent différents personnages populaires qui ont occupé l’espace médiatique québécois des années 1940 à 2000, convoqués pour une audition afin de déterminer s’ils seront acceptés, car il se trouve que l’espace est limité… Ces Olivier Guimond, Ti-Blanc Richard, La Bolduc, Ti-Mousse, Ti-Gus, Gilles Latulipe, Réal Caouette, La Poune, Alys Robi et plusieurs autres devront donc vendre leur salade pour s’assurer une place au paradis. Fait à noter, Réjeanne Gaudet mentionne que chaque sketch, autant au niveau des textes que des costumes et maquillages, a été conçu par les comédiens eux-mêmes.
Et force est de constater que c’est brillamment réussi. Sylvain et Francine sont revenus du Petit Théâtre agréablement surpris : il était facile, selon eux, d’identifier les personnages par les costumes, mimiques, intonations et expressions des comédiens. Mention spéciale pour les interprètes de Réal Caouette (Vic Rodrigue) et de La Poune (Claire Drolet), ainsi que de l’ange dansant (Frances Thibault, doyenne de la troupe, à l’âge vénérable de 102 ans), qui font partie des moments marquants de la soirée.
Autres observations de Francine et Sylvain, à la volée : « J’avais peur que ce soit quétaine, et c’était loin d’être quétaine! Ça a démoli mes clichés sur la vieillesse, sur les images négatives qu’on a souvent des résidences pour personnes âgées. J’ai senti une énergie que j’ignorais chez les gens du troisième âge. La bande de comédiens était dynamique et semblait réellement prendre plaisir à jouer la pièce. Ça donne le goût de vieillir! »
Je ne sais pas pour vous, mais sachant que Francine et Sylvain sont relativement branchés (pour leur âge, on s’entend!), je me mords maintenant les doigts en réalisant que j’ai laissé passer cette occasion de détruire mes préjugés ridicules, et de me faire servir une belle leçon d’humilité, jeune et naïf que je suis. Pour couronner le tout et enfoncer le clou dans le cercueil de mes idées préconçues, il se trouve que la troupe a invité le public (essentiellement composé des résidents de Bleu Horizon, lors de cette première) à demeurer au Petit Théâtre et à danser avec eux quelques heures à la suite de la représentation. Mes parents, fatigués, sont allés se coucher. Ouch!
Quelques petites critiques, toutefois : le décor, quoique correct, était assez minimaliste, se réduisant à quelques nuages suspendus, et aurait pu bénéficier d’un peu plus de budget. De plus, malgré la fluidité des sketchs, les transitions entre ceux-ci, où Dieu et St-Pierre présentaient les prochains personnages convoqués en entrevue, brisaient quelque peu le rythme, et auraient gagné à s’inscrire dans une séquence un peu plus organique.
Huit semaines de répétition, accompagnées de pas moins de 237 fous rires (selon les metteures en scène) pour les comédiens, un public diverti, une supplémentaire le 30 août pour répondre à la demande. Je pense qu’on peut qualifier le tout de succès pour une première expérience. Félicitations spéciales à Élaine Gauthier, animatrice chez Bleu Horizon, pour son enthousiasme contagieux et sa dévotion par rapport au projet. On espère que l’expérience sera répétée l’an prochain, et croyez-moi : cette fois-ci, j’y serai. Parce qu’un jour, moi aussi je serai un vieux.
Oh, et puisque vous vous le demandiez tous : non, aucun comédien n’a oublié ses lignes, même lors des longues répliques. Touché coulé, préjugé! \