Le 7 juin prochain se tiendra le vernissage de Dialogue Deux sous la houlette de Jean-Jacques Lachapelle, directeur du Centre d’exposition de Rouyn-Noranda (CERN), et de Virginia Pésémapéo Bordeleau, artiste multidisciplinaire et écrivaine d’origine crie. Dialogue Deux représente avant tout une formidable expérience pour transcender le lieu commun et s’inscrit dans la suite de Dialogue, exposition placée sous le commissariat de Jean-Jacques Lachapelle, dont le mandat consistait à présenter le travail d’artistes autochtones de l’Abitibi-Témiscamingue à L’Écart.. . centre d’art actuel, au printemps 2014. Cette première édition avait fait découvrir plusieurs artistes autochtones aux Allochtones et avait révélé que ces deux communautés ne se connaissaient pas assez. Ainsi, M. Lachapelle récidive cette année en se tournant vers la symbolique de la gémellité. D’une part, il partage le commissariat avec Virginia P. Bordeleau; de l’autre, les artistes qui participent au projet s’associent en binômes afin de créer un rapprochement entre Autochtones et Allochtones.
En effet, six artistes autochtones sont jumelés à six artistes allochtones pour créer des œuvres multidisciplinaires. Ils ont commencé à travailler officiellement le 1er avril dernier. Durant les mois d’avril et de mai, ils se rendent visite mutuellement et se concertent afin d’aboutir à un projet commun. Une fois celui-ci défini, ils construisent chacun une œuvre inspirée de l’autre et de sa culture. C’est donc une expérience de l’altérité qui réaffirme l’instabilité de l’identité (« Je est un autre », proclamait Rimbaud); c’est à un exercice de jeu(x) de miroirs que se livrent les créateurs, en quête d’une osmose dans le métissage culturel et artistique. Dialogue Deux se signale ainsi non seulement par son originalité et son ambition, mais aussi par la diversité des expressions artistiques qui vont y prendre forme. Virginia P. Bordeleau tient beaucoup à cette pluralité d’expressions : « Je souhaite que les formes d’expression soient très larges, allant de l’art visuel, la vidéo, la récupération, l’installation, l’expression corporelle, la performance, la danse, les langues (tradition orale versus l’écrit) aux savoirs traditionnels (plantes médicinales) et à l’artisanat (broderie, paniers d’écorce avec motifs peints, tambours, etc.) », confie-t-elle.
Pour Mme Pésémapéo Bordeleau, cette manifestation artistique revêt également une valeur politique dans le sens où elle facilite l’entrée des artistes autochtones dans des lieux de visibilité tels que les centres d’art et d’exposition. En effet, le travail de ces artistes est souvent occulté par les institutions en charge des milieux artistiques. Par ailleurs, la commissaire se réjouit du fait que cette initiative permet aux artistes autochtones de sortir de leur zone de confort et de proposer des œuvres selon une autre approche. De son côté, M. Lachapelle déplore le fait que les réseaux de diffusion des arts sont très peu connus des Autochtones. Il pense que les Allochtones ont beaucoup d’intérêt à découvrir la culture et l’art autochtones, car ils sont porteurs de symboles d’une grande force et nous laissent généralement pétris d’étonnement.
Dialogue Deux place l’art, langage universel et dernier rempart contre la bêtise humaine, à un carrefour où se rencontrent les différentes communautés pour se découvrir, dialoguer, se recréer et se connaître. Elle vise à favoriser une incursion des artistes allochtones dans les communautés autochtones. « Cette immersion dans les communautés représente une manière concrète d’ouvrir la porte vers une compréhension de l’univers des Premières Nations », commente Jean-Jacques Lachapelle, qui couve une curiosité presque pathologique à l’égard de la culture autochtone. Dialogue Deux offre ainsi aux Allochtones d’aller à la rencontre de cette culture dans une zone de partage et d’échanges.
Outre cette quête de communion avec l’autre pour mieux se connaître, le projet met également en lumière un parti-pris. Jean-Jacques Lachapelle insiste beaucoup sur le fait que les artistes qui y participent sont des « Autochtones » et des « Allochtones ». Cette précision nominative relève d’un souci de rectitude sémantique, pour ne pas dire historique. C’est Camus qui pense que « mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde ». En utilisant les vocables « Autochtones » et « Allochtones », les commissaires de l’exposition proposent de revisiter non seulement l’histoire du Québec mais aussi celle de l’Amérique tout entière. Ce parti-pris sémantique invite au rapprochement au détriment des préjugés, de l’incompréhension et de l’ignorance. Émilien Larochelle, président de Tourisme Abitibi-Témiscamingue, associé à la réalisation de cette aventure artistique, explique que « les Premières Nations détiennent un grand pan de notre histoire. Le lien naturel a été brisé, mais il devient primordial aujourd’hui, si nous voulons poursuivre notre développement dans le respect et l’harmonie, de ressouder les liens, de recoller les morceaux de notre histoire commune ». Ces paroles font penser à L’Empreinte, le dernier documentaire de Carole Poliquin et d’Yvan Dubuc, dans lequel Roy Dupuis entreprend un périple à travers le temps et l’espace à la recherche des origines des Québécois. Nous avons tous quelque chose en nous d’indien, semblait-il proclamer. \