Comme tout le monde, je soupçonnais les difficultés attachées au recrutement des musiciens au sein de l’Orchestre symphonique de l’Abitibi-Témiscamingue, mais j’étais loin d’en connaître l’ampleur. J’ai donc rejoint Jacques Marchand, le chef de l’orchestre. La description du problème est si bien posée et détaillée que sans doute des solutions sont possibles pour avoir très longtemps notre orchestre régional.
Le recrutement d’une relève qualifiée n’est pas une mince tâche : les harmonies dans les écoles meurent les unes après les autres. Les musiciens issus des harmonies poursuivaient parfois leur formation au Conservatoire ou dans les écoles de musique. Ce trajet est menacé de plusieurs façons : coupures de budget, manque de volonté pour maintenir les structures en place, etc.
La relève est difficile à attirer pour une autre raison. Jacques parle de la tendance lourde du 21e siècle : l’instantanéité, Internet, la vitesse en tout. Mais la musique n’obéit pas à cette tendance. La maîtrise de n’importe quel instrument demande des heures et des heures de pratique assidue. Qui sera intéressé à s’astreindre à cette corvée quand on a l’habitude des téléphones intelligents et des ordis très performants? Les jeunes n’ont plus l’habitude de l’effort…et on applaudit à tout rompre leur moindre succès. On crie au génie pour un ta-ta-ti répété deux fois. Imaginez l’effort considérable qu’il faut à un enfant pour arriver à jouer à l’OSR? Imaginez la solitude et la patience qu’il faut pour s’entendre refaire des ta-ta-ti… tatati… tatati… pendant des heures.
L’OSR compte une quarantaine de musiciens dont 5 ou 6 professionnels, c’est-à-dire qu’ils gagnent leur vie grâce à la musique. Les autres sont des semi-professionnels ou des amateurs de haut niveau qui gagnent leur vie dans une autre profession et qui jouent pour le plaisir.
Comme dans les autres formes d’art, ce ne sont pas les cachets mirobolants qui attirent les musiciens professionnels. Ils gagnent un revenu de misère, en moyenne moins de 18 000 $ par an, sans fonds de pension, ni assurance maladie, sans chômage possible… c’est la rançon de la passion. Difficile dans ces circonstances de songer à fonder une famille, prévoir les frais d’hypothèque, l’entretien et l’achat d’une auto. Ce n’est pas l’avenir qu’on leur a fait miroiter dans les films de Walt Disney.
Pourraient-ils organiser davantage de concerts pour augmenter les sources de revenus? Ici, plus on offre de concerts, plus les risques de déficit augmentent.En effet, les répétitions et le coût d’un seul concert dépassent les 15 000 $. La région est vaste, les musiciens viennent de partout, les concerts se déplacent dans chacune des MRC; ce ne sont pas les mêmes conditions organisationnelles à Trois-Rivières ou à Sherbrooke, par exemple, des villes plus densément peuplées avec des musiciens tout autour, faciles à déplacer. D’ailleurs, ces orchestres symphoniques comptent davantage de musiciens professionnels.
En Abitibi-Témiscamingue, la tâche est plus compliquée car la formation et l’expérience des musiciens sont inégales. Ailleurs, les orchestres symphoniques sont soutenus par des équipes d’administrateurs suffisamment nombreux pour développer des projets et des demandes de subventions, alors qu’ici, la survie de l’orchestre repose sur trois ou quatre bénévoles qui le tiennent à bout de bras. Dieu sait combien il est long et fastidieux le chemin pour déposer une demande de subvention, pour remettre les bilans et évaluations, les détails avant, pendant et après le concert, même pour toucher une petite somme.
Un souhait de Jacques concernant l’orchestre et la culture en général? Que la région se peuple de plus en plus. Que les gens de notre territoire aient des revenus suffisants pour acheter des billets de théâtre, de concerts, de tous les festivals, des spectacles de danse, des tableaux… que tout le monde baigne dans l’expression artistique et l’éducation à la beauté.
Nous le souhaitons aussi.