Mon grand-père se faisait un honneur que sa maison soit l’une des rares du village où il y ait une bibliothèque. Pour lui, les livres étaient presque plus importants que les outils. Non parce qu’ils servaient à mettre du pain sur la table, mais parce qu’ils représentaient pour lui le monde de la connaissance. Et ce monde, il destinerait un jour ses enfants, pourtant fils et filles de colonisateurs aux mains rudes, à la liberté. Celle de choisir s’ils seraient homme et femme de champs ou de lettres, de mines, d’art ou de construction. Les livres étaient pour mon grand-père comme autant de clés vers un avenir non asservi à la condition de survivant qui était la sienne.

Lorsque nous étions enfants, mon père nous amusait avec de farfelues séances de cadavres exquis littéraires; dans un chapeau les sujets, dans l’autre les verbes, dans un dernier les compléments. On vivait là sans le savoir nos premières expériences surréalistes. Ces séances nous laissaient souvent avec des phrases surprenantes, des images nouvelles qui stimulaient nos petits neurones d’enfants émerveillées par la magie des mots et du processus.

Et je suis devenue libraire, plusieurs années plus tard, presque par hasard.  C’est comme si j’étais devenue en quelque sorte l’héritière d’une mission familiale, celle de transmettre l’amour des livres, de la lecture, des mots et de leur pouvoir immense. J’ai découvert à cette époque un métier passionnant et ingrat à la fois. Car il faut connaître les romans à la page et le dernier Goncourt, le meilleur dictionnaire et l’atlas idéal, la recette du bonheur et comment faire pousser les fleurs, le livre bleu qui était à la TV hier et tout ça en maîtrisant la gestion d’un inventaire et le jargon hermétique de la chaîne du livre. Pour la bonne santé de la culture en général et de la littérature québécoise en particulier, c’est un métier d’une importance primordiale  et pourtant pas facile à exercer. Qui plus est, il s’apprend souvent sur le tas, aux risques et périls du milieu qu’il supporte.

Saviez-vous que la durée de vie moyenne d’un livre en librairie est d’environ 3 mois? Saviez-vous qu’il y a environ 30 000  nouveaux titres qui paraissent au Québec chaque année? Tout ça sans compter les fonds, deMolière au Petit Prince en passant par Louise Desjardins et Michel Tremblay. L’océan de titres parmi lesquels nagent les libraires a de quoi noyer le poisson. Sans parler de la difficulté pour les petits éditeurs de se tailler une place respectable parmi ce déferlement de nouveautés. C’est un défi immense.

C’est pourquoi je tiens à souligner l’engagement, la persévérance et l’audace des illuminés comme l’équipe de bénévoles des Éditions du Quartz, qui se commettent depuis 2011 à publier des ouvrages mettant en valeur la culture et l’histoire de l’Abitibi-Témiscamingue.

Il y a plusieurs bonnes raisons d’acheter un livre dans une librairie plutôt que dans un magasin de pneu canadien. L’offre ne se limite pas aux quelques centaines de best-sellers annuels qui font l’unanimité commerciale. On peut donc tomber sur le dernier roman de Virginia Pésémapéo Bordeleau, ce qui est peu probable dans votre supermarché. On y offre aussi les quelque 750 000 titres des fonds des différentes maisons d’édition de la francophonie que votre libraire peut vous commander sans frais supplémentaire, parce que c’est son métier.

À l’automne 2013, une grande commission parlementaire a eu lieu pour étudier une éventuelle politique québécoise sur le prix du livre neuf. À part quelques commerçants, une forte majorité des associations professionnelles, éditeurs, libraires agréés, illustrateurs et auteurs sont en faveur d’une règlementation qui donnerait sans doute un bon coup de main aux petites librairies indépendantes qui font notre bonheur de lecteur. En aidant les librairies, on aide les éditeurs, qui aident à leur tour les auteurs et les illustrateurs et ce, jusqu’en Abitibi-Témiscamingue.

Voici une citation de l’auteur Samuel Archibald :« …il faudrait trouver à tout prix un moyen de protéger les librairies. Et ceci pour une raison assez simple: j’ai souvent sauvé de l’argent ou trompé l’ennui en achetant un livre dans un magasin grande surface ou une pharmacie, […] mais je n’y ai jamais découvert quelque chose de nouveau. C’est pour moi, cette différence énorme qu’il faut protéger. La différence entre vendre des livres et les faire vivre. »

La rédaction de l’Indice bohémien est d’accord avec ça.

Voyez également l’article « VERS UNE RÉGULATION DU MARCHÉ DU LIVRE? »


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