Au El Tio’s, le cuisinier-serveur t’attend assis sur le trottoir, avec un copain qui sirote sa bière en cannette. Il se lève, prend ta commande et va te préparer ton repas en continuant la conversation avec son ami. Juste à côté, le propriétaire de la boutique de vêtements lit lentement son journal, assis sur une chaise, les jambes allongées dans la rue. Que tu passes ton chemin ne le dérange pas trop. Plus loin, en milieu d’après-midi, sur le quai, les pêcheurs placotent, avec une bière, toujours. Ici, à Puerto Morelos, au Mexique, comme dirait mon père, ils ne mourront pas du coeur.

Bien sûr, c’est la chaleur qui se remarque le plus, surtout en février, particulièrement quand, en Abitibi, un mois avant, on avait des -40 durant des jours. On apprécie, disons. Le décor est superbe, avec les palmiers, la plage, les deux phares, la mer, les voiliers qui passent au loin. Il y a ce côté pittoresque aussi, avec ses maisons blanches, tout en béton, leurs hautes murailles sur le devant, ses palapas sur les toits, cette petite église sans mur sur les côtés, les restos et la musique qu’on entend. Tout n’est pas charmant non plus. Beaucoup de bâtiments délabrés, des terrains vagues mal entretenus, des fils qui pendent aussi, des chiens errants qui jappent sans arrêt et qui courent après les taxis. Des constructions inachevées, ça et là, nous consolent : construire un CHUM ici prendrait 120 ans.

Mais quand on prend le temps de se promener – et j’y suis tout de même resté un mois –, on s’aperçoit qu’ici, la lenteur est une habitude, un mode de vie. Comme au El Tio’s, comme sur le quai au retour de la pêche. Une espèce de nonchalance assumée, qui n’est pas toujours un sale défaut. C’est le soleil et la chaleur, assurément, qui ont amené les gens à ralentir, à relaxer, à prendre le temps de prendre le temps. Ça donne une ambiance unique, à des années-lumière de ce qu’on peut vivre au Québec. Il est une expression fameuse que les anglophones utilisent : going with the flow. C’est en plein ça. Y aller avec le courant. Lentement, mais sûrement. Traverser le pont quand on arrivera à la rivière…

…c’en est presque philosophique.

Aucun stress non plus. Il n’y a pas de panneaux d’arrêt aux coins des rues. On ralentit seulement. Le premier arrivé passe. Les enfants se promènent à vélo avec leurs parents, bien assis dans des sièges placés sur la barre en avant. Pas de casque bien sûr. Le poulet reste au soleil, avec le sang, les mouches et, peut-être, la salmonelle. Il y a juste les policiers, avec leur mitraillette en bandoulière, qui nous rappellent que ça peut brasser parfois, que certains peuvent «pogner les nerfs» au El Tio’s ou sur le quai.

Puerto Morelos et le Mexique ne sont pas des sociétés idéales. Il faudrait être totalement naïf, et ce n’est pas ce que je dis. Non. Trop d’exemples nous montrent le contraire : pauvreté, drogue, violence, pollution. Mais cette façon de vivre, ici, marquée par la lenteur, ce savoir-vivre finalement, on peut certainement le prendre en exemple, d’une certaine façon.


Auteur/trice

Abitibien d’adoption, Valdorien depuis 20 ans, Dominic Ruel est enseignant en histoire et géographie au secondaire. Il contribue à L’Indice bohémien par ses chroniques depuis les tout débuts, en 2009. Il a été président du CA de 2015 à 2017. Il a milité en politique, fait un peu de radio, s’est impliqué sur le Conseil de son quartier et a siégé sur le CA du FRIMAT. Il aime la lecture et rêve d’écrire un roman ou un essai un jour. Il est surtout père de trois enfants.