Le rappeur Anodajay (Steve Jolin) s’est initié au rythme et à la poésie* dans la langue de Shakespeare avec les Public Enemy, KRS-One et Rakim qui ont marqué la naissance de la planète hip-hop chez nos voisins du Sud à la fin des années 1980. Quand est venu son tour de prendre la plume, sa langue maternelle, celle de Molière, a cependant rapidement repris le dessus et elle contribue aujourd’hui au foisonnement d’une scène francophone méconnue, mais étonnement riche et surtout bien enracinée au Québec… et en Abitibi-Témiscamingue.


«J’ai écrit mon premier rap officiel à douze ans. Je fréquentais l’École catholique franco-supérieure de Thunder Bay, c’était la seule école francophone de la ville. Ils avaient organisé un concours amateur. J’ai gagné avec des rimes qui parlaient de l’école, de ma vie!», se souvient en rigolant Steve Jolin.


On était en 1990, à peine un an avant que MC Solaar, pionnier du rap français, ne sorte Qui sème le vent récolte le tempo, album culte du genre, écoulé à plus de 400 000 exemplaires. «C’est là que les gens ont compris qu’on pouvait faire du rap en français. Et il y a eu IAM et NTM, et vers 1996-97, la scène locale a commencé à faire plus de bruit avec les KCLMNOP, Dubmatique, puis Sans pression, Muzion, LMDS, Yvon Krevé, etc.»


Si la petite école a fait place au Cégep et à l’Université, Jolin, même en complétant un bac en enseignement de l’éducation physique, n’a jamais abandonné le hip-hop et l’idée d’exprimer ses propres idées sur une scène. Pour Anodajay – dont le nom de scène est mi-hommage à ses origines (l’anode, emblème de Rouyn-Noranda, capitale du cuivre), mi-another «J» en anglais qui se traduit en français par : un autre «J» – le rap vient de là. Des revendications et des dénonciations qui l’alimentent et qui lui viennent plus naturellement, plus instinctivement dans sa propre langue. «Il y a des artistes qui se préoccupent peu de la langue, mais dès que tu es plus engagé, c’est sûr que les textes prennent plus de place», explique-t-il.


Après une maquette de trois chansons, Anodajay sort finalement son Premier VII en 2003, faisant du même coup intrusion dans le monde des affaires en fondant l’étiquette Disques 7ième Ciel. Le «rappeur des bois»
continue depuis à développer tant son sens artistique – Septentrion (2006) et ET7ERA (2010) – que son sens des affaires. Jolin produit en effet les ambitieuses soirées Hip-Hop Dépendant et a accueilli le rappeur algonquin Samian, les MC Koriass et Dramatik au sein de son «7ième régiment», tout comme Manu Militari, dernier venu chez 7ième Ciel, déjà solidement établi sur la planète hip-hop et dont la Marée humaine a beaucoup fait jaser l’automne dernier.


Pour celui qui a été contraint d’abandonner l’enseignement pour se consacrer à la musique, ce qui tient l’équipe de 7ième Ciel en vie au-delà du 48e parallèle n’est peut-être pas tant une question de langue que d’identité au sens plus large et de transmission de cette identité. «Oui, Samian amène de l’algonquien dans ses trucs, mais c’est parce qu’il se préoccupe de garder la langue en vie. Au-delà de ça, où on se rejoint avec tous les autres, c’est dans notre philosophie, dans l’engagement, dans notre démarche artistique qui dit aussi d’où on vient.» D’où les nombreux clins d’œil sur les albums d’Anodajay aux Raôul Duguay, Richard Desjardins, Diane Tell et autres qui ont les mêmes racines que lui…


* Le mot «rap» est l’acronyme anglais de rhythm and poetry