Ce roman constitue le septième de l’auteur. Si l’on rajoute à ce trajet un recueil de nouvelles ainsi qu’un recueil de chroniques, on constate que l’œuvre de Louis Hamelin, tout en laissant place à l’imaginaire, s’ancre solidement dans l’observation de la société.
Vous vous demandez peut-être pourquoi il est question ici d’un livre rédigé par un auteur né en Mauricie. C’est qu’il a vécu en Abitibi plusieurs années… tout comme son personnage principal. En fait, les références à l’Abitibi sont assez nombreuses : certains personnages en proviennent, d’autres y vivent. L’auteur présente la région dans toute la splendeur de sa faune et de sa flore, mais aussi toute la dureté de cet environnement.
La constellation du lynx constitue un roman historique bâti sur fond de roman policier, s’appuyant sur des meurtres et crimes de toutes sortes : crapuleux, politiques, passionnels. Mais la trame policière domine, à savoir qui a réellement commis le crime qui a servi d’assise à la « crise » d’octobre, soit l’assassinat de Pierre Laporte (Paul Lavoie dans le roman). Et pour répondre, il faut savoir à qui cette « crise » a réellement profité… les candidats sont nombreux! Hamelin dit tout haut ce que certains prenaient pour une évidence : il est impensable que la police et que les différents paliers de gouvernement aient été pris de court.
Le personnage principal est mis sur la piste de sa quête par un ancien professeur et acteur des années 60-70. Sam Nihilo, le personnage principal, va chercher à retracer tous les documents de son ancien professeur et, en cours de route, il va en rajouter de nouveaux. Les documents, ainsi que les personnages qu’il suit ou retrace, nous font voyager de Gaspé jusqu’en Abitibi en passant par Paris, Moscou et le désert algérien, des années 2000 jusqu’en 1946. Samuel Nihilo (dont le nom, au-delà de l’anagramme du nom de l’auteur, reflète une pensée philosophique) observe la société sur quelque cinquante années et la commente… parfois avec sérieux, parfois avec emportement, souvent avec humour.
Nihilo raconte l’histoire qu’il essaie de reconstituer : celle d’octobre 70 et des événements qui ont suivi, mais aussi de ceux qui ont précédé, ce qui donne une vaste fresque aux nombreux personnages dont les destins se croisent, s’entrecroisent et se défont, en laissant le lecteur distrait un peu emmêlé… Pour les amateurs d’histoire, le roman est basé sur une recherche approfondie des événements et des personnes qui ont fait « octobre 70 »; ainsi apparaissent des coupures des journaux ou, mon passage préféré, l’argumentation de la page 218 qui énumère les dates marquantes de l’histoire du Québec, incluant un recensement des actes et proclamations constitutionnels.
Ce roman représente un défi, non seulement par sa longueur, mais surtout parce que les dates en début de chapitre ne sont pas toujours un indice quant au contenu du chapitre; en fait, les chapitres permettent le regroupement d’éléments autour d’un personnage ou pour expliquer l’évolution d’une situation. La présentation éclatée des personnages et des événements demande une bonne mémoire pour se souvenir de qui est présent quand et où, et de qui fait quoi. Les allers et retours dans le temps renforcent les liens entre le passé, le présent et le futur, mais ils ne facilitent pas la lecture. En fait, il faut posséder un goût pour l’histoire aussi bien que pour les casse-tête. Certains lecteurs pourraient préférer s’accompagner d’une carte politico-littéraire des années 60, 70 et 80, qui permettrait de retracer les personnes derrière les personnages masqués, mais le roman se lit bien même si on ne resitue pas tout le monde ou tous les événements. Il faut savoir que l’auteur offre un mélange de personnages fictifs, de personnages réels dont le nom a été changé et de personnages réels. Hamelin tisse savamment les fils des histoires qui constituent l’Histoire.