Nous qui sommes conduits à lire pas mal de pauvretés, nous sommes tout à l’inverse en droit de nous étonner du fait que le dernier livre de Richard Desjardins, Aliénor, ait connu si peu de retentissement, alors qu’il s’avère être une révélation absolue, un recueil d’une qualité littéraire exceptionnelle, qui aurait dû soulever d’enthousiasme la critique littéraire et assurer au livre tout le rayonnement, la résonance qu’il mérite. Publié chez un petit éditeur, Lux, est-ce avant tout un problème de diffusion?
Aliénor est, d’emblée, avec Les écrits de l’eau, de Suzanne Jacob, et Entre la lettre et l’esprit, de Raôul Duguay, l’un des trois recueils de poèmes les plus remarquables de la littérature abitibienne. C’est une histoire pleine d’une verve venue de l’âme, d’autant qu’elle est racontée du point de vue d’un simple paysan-soldat, pauvre comme du sel, en révolte contre l’autorité, un dénommé Gauthier sans Avoir, tout comme le frère de Richard Cœur de Lion fut Jean sans Terre.
Un recueil d’une richesse d’invention continue, d’une densité sans ornement et d’une adresse technique à couper le souffle, sans parler du raffinement des timbres, de la souplesse des sonorités. Ce long poème, écrit en alexandrins, qui se veut chanson de geste, a beau évoquer des événements survenus au cours du XIIe siècle, il est on ne peut plus intemporel, et jamais il ne prendra de l’âge.
Desjardins, qui a déjà écrit une superbe chanson sur François Villon, semble apprécier cette période en effervescence, pleine de poésie rugueuse, dépouillée, douloureuse et nue, sans emphase, mais aussi d’une vitalité truculente, qui apporte la fraîcheur d’un matin. Cette histoire d’Aliénor d’Aquitaine est celle d’une femme dont l’âme est à vif, qui voit le monde se décomposer sous son regard et, poignants, les drames qui s’ensuivent donnent à cet univers une gravité émouvante et pure. Une histoire mêlée depuis toujours à la mythologie personnelle de l’auteur-compositeur, puisque Aliénor était la mère de Richard Cœur de Lion, nom sous lequel la mère de Desjardins le désignait lorsqu’elle appréciait ses comportements…