Les chants de Noël gueulent dans les haut-parleurs du village… Ayoye, je les ferais bien avaler à quelqu’un (les chants). Ce qu’il y a de bien ici, c’est que la musique des haut-parleurs a pour seul but de faire plaisir, contrairement aux centres d’achats où elle nous incite à consommer Noël à grands coups de Peuple à genoux, attend que les bills rentrent. Et si ces chants en pleine rue rendaient nostalgiques les résidents du HLM? Et les enfants de l’école, s’ils devenaient fébriles à l’imminence des vacances? Alors oui, encore des chanteuses de Nowel, encore de la musique à 9 heures le dimanche matin lors des activités spéciales. Je vis ici, j’assume ici. Et puis, au fond, j’aime bien qu’on s’occupe de mon confort, et puis cela permet de chialer! C’est peut-être pour cela que j’aime vivre au cœur du village, pour me sentir concernée par les décisions des autres, par mes semblables différents.
Vivre ici, c’est décider de se connaître les uns les autres. Quitte à reconnaître que l’autre ne veut rien savoir. C’est s’exposer dans sa vulnérabilité, dans son intimité. Passer la tondeuse la bedaine à l’air. Aller au dépanneur en bottes à pine. Sortir sur le perron et crier « Pierre, téléphone! », ou « Madame chose, venez chercher votre chien, il veut mettre le mien! »
Vivre au village, c’est le contraire de vivre en communauté. J’entends par communauté un groupe de gens se regroupant par intérêts ou origines. Il est déjà loin le temps de la ruralité consanguine, et la néo-ruralité est en expansion dans nos campagnes abitibiennes. Le village, c’est le bassin du multiculturalisme, du pluralisme (parlez-en à Roméo Bouchard). L’acceptation et l’intérêt envers son voisin qui vit de façon différente, « qui rentre tard, ça doit être qu’ii travaille de nuit, il doit sûrement voter bleu, je pense que ça va pas bien avec sa nouvelle blonde, c’est depuis qui a changé de char… » Et qui a le même putain de sentiment d’appartenance! C’est ici chez lui, je suis ici chez moi. Nous avons envie de vivre ici. Elle, c’est le Cercle des fermières, lui, c’est la patinoire. La glace est belle cette année! Toi, tu es raquette, et, moi, je suis skidoo. Nous allons sur le même lac autour de la même île, avec le même bonheur, pas à la même vitesse. Cela ne s’appelle pas l’amour de son prochain, ni la grandeur d’âme, ni la charité chrétienne. Cela s’appelle la tolérance. La même tolérance qui permet aux Serbes et aux Bosniaques de Sarajevo de revivre ensemble. Celle de l’équilibre dans l’écosystème.
À force d’individualisme, on est devenu peureux : du regard des autres, des commentaires, des jugements. On évite toute confrontation de valeurs ou d’opinion. Ici, nos voisins, on ne s’en fout pas. Certains épient, d’autres commèrent. Ici, on prend position, on aime ou on n’aime pas. À tort ou à raison. Ici, on ne te sacre pas patience, on te demande, on t’invite, on sollicite ton implication, ta participation. N’est-ce pas un peu cela qu’on cherche tous? À travers le réseautage, les 5 à 7, les fans clubs sur Facebook ; faire partie de…, être reconnu par…? Sentiment d’appartenance, implication sociale, développement local… Cela vous sonne une cloche?
Ça y est, l’école est finie, la petite voisine passe en courant avec son chien, je l’ai à l’œil, suivie d’une moyenne et d’un plus grand. Les plans ont l’air fort. Les vacances n’ont qu’à bien se tenir. On dirait que vous avez trouvé votre famille, la gang! Celle où on se chicane pour une journée, celle où les filles ne veulent plus jouer avec moi. Parce que quoiqu’en dise le proverbe, c’est la famille qui est petite et le monde qui est vaste. Même dans une localité de 400 âmes. Mais à les voir, on a bien l’impression du contraire. La parenté s’est éclatée. Cela s’appelle l’amitié, cela s’appelle l’enfance, pour eux cela se nomme le village.
Ce qu’ils apprennent aujourd’hui et qui leur reviendra bien plus tard, c’est le mot racine. Racines qui poussent bien plus au cœur des gens que de la terre. Bonne année 2010 à tout le village, global.