Le premier jour, le jeune* de la région chiala « Il ne se passe jamais rien de bon en région! » « Y’a rien pour les jeunes, surtout pas en culture! » « C’est vraiment plate! »

Ces tristes constats déferlent encore, trop souvent, de la bouche des jeunes exilés de l’Abitibi-Témiscamingue. Si pour certains c’est un mythe que la région est pauvre en événements culturels, qu’elle ne peut se permettre des événements de grande envergure et de vivre à la hauteur des ambitions de ses résidants, pour d’autres, ce sont des craintes réelles. Ces peurs, véhiculées par plusieurs, effraient encore certains jeunes – et moins jeunes – expatriés et leur font reporter leur retour en région pour une période indéfinie.

Pourtant, c’est ce même manque de rassemblements qui fait rêver certains autres jeunes, leur fait voir la vie culturelle comme un peintre regarde une toile blanche : ils voient un immense terrain de jeu où tout est possible. Ce fut entre autres le cas des membres du comité organisateur du Festival des Langues Sales, qui se tient à la fin de février.

Le deuxième jour, le jeune de la région s’illumina

La vie culturelle, vitaminée par la cité étudiante, est souvent plus vivante à Rouyn-Noranda qu’elle ne peut l’être dans les autres territoires. Si certains choisissent la capitale régionale pour son offre artistique variée, d’autres choisissent d’affronter la rudesse de la vie ludique de leur nouveau pied à terre.

À force de faire des allers-retours entre son domicile et les grandes villes, le jeune en vient à rêver à des manifestations qui auraient lieu chez lui, des activités qu’il pourrait vivre avec les siens, dans le confort de sa collectivité. Alors, que ce soit par le biais d’organismes avec qui il collabore ou en s’associant à d’autres rêveurs, c’est à ce moment précis qu’il réalise que s’il veut qu’il se passe quelque chose – quelque chose qui lui plaira vraiment – il devra mettre l’épaule à la roue et la créer.

Le troisième jour, le jeune de la région se réalisa
Après une longue période de travail, le jeune arriva finalement à destination et célébra sa réussite. Rien de plus galvanisant pour lui que de finalement pouvoir vivre et vibrer au sein de son activité, celle qu’il a désirée, créée, partagée! Si au départ il souhaitait simplement organiser un beau gros party entre amis en y invitant toute la ville, juste parce que certains artistes coûtent trop cher en cachet pour les faire jouer dans son salon, il réalisa vite qu’il n’était pas le seul à avoir de telles aspirations, et son événement fut un tel succès qu’aussitôt qu’il fut terminé, il rêva déjà à l’édition suivante.

Le quatrième jour, le jeune de la région fut épuisé
Le bonheur de créer et la joie de vivre un événement qui lui ressemble disparurent bientôt sous l’essoufflement. Réinventer la roue constamment, refuser de demander de l’aide, viser la croissance à tout prix, travailler très fort à améliorer le produit qu’on offre : tout ça fatigue son homme et le plonge dans le doute. Pourra-t-il poursuivre sa mission dans ces conditions?

Le cinquième jour, le jeune de la région se ressourça
Humblement, notre jeune se reconnaît néophyte : il sait qu’il ne peut pas et ne sait pas TOUT faire, alors il se réseaute avec des gens qui font des trucs semblables aux siens ailleurs en région, au Québec ou dans le monde; il suit des formations qui semblent taillées sur mesure pour lui; il s’informe auprès de gens qui ont plus d’expérience que lui. L’aventure peut recommencer, solidifiée par quelques améliorations souvent toutes simples.

Le sixième jour, le jeune de la région se fit aider par sa communauté
Tout seul, on arrive souvent à rien! Alors s’il a réussi à réaliser son beau projet, le jeune demanda finalement de l’aide.

Et c’est à ce moment précis que nous intervenons, que les événements qui enrichissent notre vie culturelle quittent définitivement le statut de produit de consommation et de divertissement pour celui de manifestation de l’âme d’une collectivité, de signe vital d’une culture. Car si le rôle des bénévoles est primordial dans le dynamisme culturel, il en va de même de celui de la population et des instances publiques.

Menés à bout de bras par des bénévoles, la plupart des festivals de la région n’ont pas les ressources des grosses entreprises ou des promoteurs prospères. Souvent privés des services d’une ressource humaine, et devant composer avec un fort roulement de personnel, tout est souvent à recommencer. Résultat : les organisateurs risquent l’essoufflement à force d’avoir à donner une part grandissante de leur temps sur une longue période. Les bénévoles ont ceci de particulier qu’ils ont tendance à essayer d’étirer le temps en insérant toujours plus d’activités dans leurs journées, sans que leur tentative d’alchimie temporelle ne soit un succès.

Comment pouvons-nous les soutenir? Il faut assurément plus de bénévoles: si on veut une offre d’activités variées – et qu’elles perdurent! – il faut y contribuer! Cette contribution peut se faire à plusieurs niveaux (à long terme par le biais d’un engagement responsable dans une cause ou une organisation, ou encore ponctuellement en donnant un coup de main lors de l’événement). Ça demande un certain sacrifice, mais il est minuscule quand on le compare à la satisfaction électrisante qu’on retire du travail bien fait et d’avoir fait vibrer des dizaines de personnes à l’unisson l’espace d’une soirée.

Le soutien des municipalités, dans un milieu comme l’Abitibi-Témiscamingue, est également majeur pour la vitalité culturelle. Il peut prendre mille formes : logistique, technique, financier… La municipalité est souvent le soutien primordial, la première aide, la poussée qui donne l’élan de départ nécessaire. Bien que l’argent soit nécessaire à la réussite d’événements, la responsabilité financière ne revient pas seulement qu’à nos gouvernements. Il existe déjà beaucoup de programmes, de sources de financement, et il est difficile de demander plus en contexte de déficit budgétaire gouvernemental… Mais l’entreprise, que fait-elle? Les façons dont elle pourrait aider ne manquent pas : demander à ses employés de mettre la main à la pâte au même titre que les bénévoles; prêter du matériel; faire des photocopies; contribuer à la publicité; acheter des lots de billets… sans oublier de soutenir financièrement ces événements.

Enfin, la population a elle aussi sa part de responsabilité dans la réussite de ces festivités. Elle a le devoir d’encourager ce qui se fait ici, surtout quand le produit offert est de qualité. S’il est agréable de voir les plus grandes vedettes de l’humour ou de se payer des virées culturelles à Montréal, il devrait en être de même avec nos artistes et artisans locaux. Il ne s’agit pas de leur faire la charité, peu importe leur talent, simplement parce qu’ils sont d’ici, comme une sorte de discrimination positive : c’est plutôt qu’on doit être assez ouvert pour aller voir ce qu’on a à nous offrir, se laisser toucher par la création de nos concitoyens qui parlent notre langage et partagent notre quotidien, se donner la chance de vivre un moment de création vibrante avec notre communauté immédiate. Bref, aidez un organisme : soyez curieux!

Le septième jour, le jeune de la région se reposa…
… et fut heureux de vivre ici en Abitibi-Témiscamingue, là où les rêves ne sont jamais plus grands que ceux qui les portent et où tout est possible. Cette façon qu’il a eue de s’impliquer dans le développement de sa région par le biais d’événements qui l’ont fait vibrer lui offrira une raison de plus de s’enraciner chez nous – chez lui! – tout en améliorant sa qualité de vie. C’est souvent comme ça qu’on change l’image d’une communauté et qu’on en augmente le capital social, qu’on la rend plus humaine. Pour moi, c’est pour ça que les langues sales font la job.

*Jeune étant ici un terme qui désigne tous ceux qui s’emploient à faire bouger les choses en créant ou en organisant des événements qui leur ressemblent, que ce soit le FME, le FRIMAT, la Foire gourmande, le Festival des guitares du monde, le festival de Musique classique ou autre. N’est jeune que celui qui a encore assez d’avenir pour changer le monde!


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