Un journal culturel dans une région comme l’Abitibi-Témiscamingue se veut un moteur du développement artistique, mais aussi social et économique. C’est notre culture et la façon dont nous l’abordons qui font de nous une région à part entière; unique, fière et en croissance.
Notre milieu culturel est en effervescence et est fort diversifié. Pourtant, certains de ses maillons sont encore faibles : qu’on pense aux « jeunes » artistes (jeunes comme dans débutant) qui peinent à atteindre un statut de professionnel, aux disciplines moins populaires donc moins connues, aux petites organisations fragiles, voire aux événements atypiques. Souvent, ces parents pauvres du milieu artistique, et le milieu en général, se plaignent de manquer de visibilité dans les médias, et plus particulièrement de couverture critique. La venue de L’Indice bohémien devrait permettre d’offrir des critiques culturelles puisque c’est ce qui est revendiqué par le milieu et c’est aussi ce qui nous a été demandé après la parution de la copie zéro de notre journal. Mais est-ce réaliste ?
Dans un pays de voisins
L’Abitibi-Témiscamingue étant ce qu’elle est, il n’est pas toujours évident de s’établir en tant que critique. Dans un milieu aussi petit que le nôtre, critiquer un artiste ou une œuvre peut parfois être ardu, surtout qu’on a parfois l’impression que tout le monde navigue dans des vases communicants.
Ainsi, celui qui oserait s’aventurer comme analyste critique devra, un jour ou l’autre, entrer en contact avec le créateur, si ce n’est pas déjà chose faite. Et on ne se le cachera pas : ici, nous sommes plus souvent qu’à notre tour collègues, cousins, voisins ou amis. Le jugement du critique sera-t-il altéré par le fait qu’il connaît personnellement l’auteur d’une œuvre ? Il serait difficile d’en être autrement puisqu’il s’agit ici de sentiments et d’émotions : les sentiments qu’il éprouve pour le créateur et les émotions qu’il ressent face à ses créations, et tout ça se mélange inévitablement.
Et même si l’artiste et le critique ne se connaissent ni d’Adam, ni d’Ève, ils devront sans aucun doute se recroiser dans un avenir rapproché et faire face à la musique en assumant pleinement ce qu’ils ont dit, écrit ou fait, tout en conservant des liens cordiaux afin de chacun poursuivre dans ce qu’il fait de mieux. Pas nécessairement facile !
Un métier à part entière
Afin de critiquer des œuvres convenablement, il faut s’y connaître et avoir vu, lu, écouté ou entendu plusieurs créations, avoir des bases sur lesquelles reposer son jugement et effectuer des comparaisons. Or, qui en Abitibi-Témiscamingue a de telles compétences ? Quelques personnes, ça va de soi, remplissent efficacement ces critères, mais si nous retirons de l’équation ceux qui ne désirent pas écrire dans un journal, et ceux qui sont en conflit d’intérêts avec l’artiste, le lieu de diffusion, l’organisation de l’événement, etc., il ne reste malheureusement que peu d’élus.
Alors, que devons-nous faire ? Laisser tomber le volet critique du journalisme, pourtant si souvent essentiel à l’évolution et à la progression des artistes et de leur discipline ? Lorsqu’elle est émise par quelqu’un qui aime sincèrement les arts, la critique ne peut qu’être constructive. Elle doit par contre s’éloigner de la complaisance, de la hargne et du règlement de compte. La critique doit contribuer à propulser la création, brasser les cartes et présenter de nouvelles idées : il appartient aux artistes d’en retirer le maximum. Faire de l’art « mainstream » (du divertissement) en région peut agrémenter l’offre culturelle, mais ça ne vient que rarement secouer les conventions. Pourtant, n’est-ce pas à ça que servent les artistes et leurs œuvres : remettre en question le sens des choses, le revoir et le remodeler selon leur vison, que ça nous plaise ou non ? Nous sommes persuadés que la critique peut nourrir les artistes dans ce processus.
Une histoire de temps
Et si nous donnions le temps aux choses de se faire, sans rien forcer, sans complètement bousculer l’ordre établi ? Laissons le temps à la scène culturelle de s’habituer à la critique, aux artistes d’en voir les avantages et à la population – ce qui inclut les journalistes culturels – de se former. Pour ce faire, l’offre culturelle doit être grande, et les véhicules d’information utilisés à leur plein potentiel.
D’ici là, les quelques analyses qui seront offertes en nos pages permettront au public de se développer l’œil, aux critiques de se faire les dents et aux milieuxd’apprendre à accepter cette critique. De leur côté, les journalistes devront apprendre à se faire confiance et à assumer leurs propos, et ce, malgré la proximité qui règne dans notre région. Car quand une critique est faite par quelqu’un qui croit humblement avoir saisi l’œuvre et les propos de l’artiste, elle ne peut qu’apporter du bon, même si ça ne se perçoit pas toujours au premier abord.
Si notre milieu culturel est en plein essor, c’est peut-être parce qu’il est encore jeune. Donnons-lui le temps d’acquérir une certaine maturité avant d’essayer de le transformer. Pour l’instant, c’est de guides dont il a besoin, et avec eux, peu à peu il deviendra grand.
Vous vous sentez l’âme critique, vous aimeriez en faire dans l’Indice bohémien ou tout simplement offrir votre jugement critique sur le journal culturel ? Nous serons heureux de vous lire !