Depuis quelques années, L’Indice bohémien de juin fait toujours une place aux enjeux liés aux Premiers Peuples et à la mise en valeur de la culture autochtone. Dans la dernière année, les sujets d’actualité les concernant n’ont pas manqué, mais ils ont malheureusement tous été éclipsés de la sphère médiatique depuis plusieurs mois : enjeux environnementaux, exploitation des ressources, revendications territoriales, commission Viens et les multiples recommandations qui en découlent, dont la reconnaissance et la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones par l’Assemblée nationale. J’espère qu’on y reviendra.

Je me désole que, encore une fois, une situation de crise mobilise tant et tellement l’attention médiatique que tout ce qui reste d’important disparaisse soudainement de la conscience collective. C’est fou quand on y pense, la puissance des médias. Quand ils regardent quelque part, c’est comme une loupe mise sur quelque chose et tout ce qui est hors du cadre tombe dans l’oubli. Jusqu’à tout récemment d’ailleurs, les conditions de vie des vieux non plus ne faisaient pas la manchette. Si la crise actuelle a quelque chose de bon, c’est sans doute la mise en lumière cet aspect peu reluisant de notre culture nord-occidentale.

Je pense à ma grand-mère qui a 93 ans et qui, grâce aux soins très attentionnés de ma mère, réussit à vivre dans son petit appartement très correct dans une résidence. D’un point de vue sociologique, il faut avoir les moyens pour se payer un logement toute seule à cet âge. Il n’y a pas beaucoup de pays dans le monde où la population a ce « luxe » d’espace et d’argent. Cependant, ce qui, pour certains, rime avec confort est pour d’autres, source d’une immense solitude, une fois la vieillesse venue.

Est-ce un effet post baby-boom, quand les familles trop nombreuses ont suffoqué dans des logements trop petits, que les enfants d’alors ont juste rêvé de partir loin du nid pour être libres? Est-ce dans ce terreau d’obligations morales et religieuses que sont nées les relations familiales décousues d’aujourd’hui? Est-ce la gymnastique compliquée des familles reconstituées? Ou est-ce dans la logique économique actuelle où la vie coûte tellement cher que chaque membre adulte d’une famille doit à tout prix travailler quarante heures par semaine pour payer l’hypothèque et l’université des enfants, et qu’il ne reste plus qu’une ou deux heures par semaines à consacrer aux parents vieillissants qui s’ennuient dans leur coin? Comment, dans l’évolution de notre tissu social, en sommes-nous arrivés à être si déconnectés de nos parents? Je ne porte pas de jugement. Je m’interroge.

Dans notre course effrénée à la productivité et à l’efficacité en toute chose, nous considérons souvent les humains selon une logique comptable. Ils sont dans la colonne des actifs tant et aussi longtemps qu’ils travaillent et consomment, tant qu’ils sont « utiles » comme bénévole dans un organisme. Dès que l’énergie s’essouffle, que la santé faillit, on tombe dans la colonne des passifs. On conçoit les relations comme si les vieux n’étaient qu’en situation de déficit par rapport à la société qui les soutient. On sous-estime la valeur des humains, de leur expérience. Celle qui permet un pas de recul face aux choses et aux êtres. On pense trop souvent à tort que les vieux peuvent casser comme un bibelot, qu’il faut les préserver dans un petit écrin à l’abri de quelque chose qui pourrait les blesser. S’ils ont eu la chance de devenir vieux, c’est probablement parce qu’ils sont faits pas mal plus fort qu’on croit. Qu’ils ont vu neiger, qu’ils ont eu des amis, qu’ils ont pris un coup, qu’ils ont parlé de cul, qu’ils ont remis en question eux aussi la société et la foi en Dieu. C’est une erreur de les mettre dans des petites boîtes à l’écart de la vie.

Encore une fois, j’observe la sagesse des peuples des Premières Nations où les aînés jouissent d’un statut privilégié, où ils sont non seulement honorés et considérés à part entière, mais consultés dans les décisions qui concernent la communauté. Ils sont des passeurs culturels et identitaires. Leur opinion compte. Leur existence compte. Ils font partie de la vie. Toute misère comparée, je crois que j’aimerais mieux vieillir entassée dans une maison trop remplie que dans une « villa du doux souvenir », à voir mes petits enfants au mieux quatre fois par année. Dans un monde idéal, il y aurait des solutions de remplacement à tout ça. Des milieux de vie mixtes, permettant à la fois d’avoir des soins adéquats et d’être parmi le vivant. Comme ces résidences qui cohabitent avec un CPE, ou des maisons multigénérationnelles abordables.

Les témoignages ne manquent pas depuis quelques semaines dans les médias, où des personnes âgées se sont accrochées à la vie lorsqu’elles étaient entourées de leurs proches dans des moments difficiles. La santé passe d’abord et avant tout par un sentiment d’être aimé. On dira ce qu’on veut des merveilles de la technologie pour garder le contact, le virtuel a des limites. Ma grand-mère confond souvent le téléphone et la télécommande. Depuis qu’elle a une aide tous les matins pour s’habiller, elle a repris un demi-kilo, une grande victoire pour nous, à distance. Elle a plus d’appétit. Ça fait une différence. « Une maison chaude, du pain sur la nappe, des coudes qui se touchent, voilà le bonheur », disait Félix Leclerc. Bien de la sagesse dans une toute petite phrase. Rien ne remplace un bol de soupe chaude partagé et une véritable caresse. J’ai hâte de prendre ma petite grand-mère dans mes bras, mais en attendant, vivement que le beau temps arrive qu’on puisse aller se balancer ensemble, masqués, mais yeux dans les yeux.


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