Cela fait maintenant quelques années que L’Indice bohémien consacre un cahier aux femmes pour son numéro de mars. Cette année encore, pour plusieurs raisons, il me semble essentiel et pertinent de dédier cet espace aux femmes et de s’accorder un moment pour réfléchir aux questions féministes.

Pensons par exemple à l’équité salariale que l’on peine à atteindre au Canada. Selon les plus récentes données publiées par Statistique Canada, une femme gagnerait en moyenne 0,87 $ pour chaque dollar gagné par un homme. Pensons aussi à la question de la parité dans plusieurs disciplines artistiques, où le financement, les prix et récompenses sont encore majoritairement sous dominance masculine. Un cas récent illustrant bien cet état de fait pourrait être celui de Klô Pelgag, qui a remporté le prix de l’autrice-compositrice-interprète de l’année lors du dernier gala de l’ADISQ. La dernière femme à avoir obtenu ce prestigieux honneur était Francine Raymond en 1993. Je veux bien croire que les jurys récompensent le talent et non le genre, mais quand même : que 25 ans se soient écoulés sans qu’aucune femme n’obtienne le plus important prix de l’industrie musicale québécoise me semble symptomatique d’un privilège masculin latent dans une société où il est commun de penser que les femmes et les hommes sont totalement égales et égaux[1], que les luttes féministes sont derrière nous.

Mais au-delà des enjeux de parité, d’équité, et de représentation, il y en a un qui, il me semble, devrait mériter toute notre attention à l’aube de la Journée internationale des droits des femmes : celui de la violence envers les femmes.

La violence prend différentes formes. Elle blesse de différentes façons. Elle peut être physique, psychologique et peut même être indirecte. Parfois, elle cible le genre, précisément. La vague de féminicides qui a déferlé sur le Québec dans les dernières semaines, dont le plus médiatisé a été celui de Marylène Lévesque, travailleuse du sexe de la région de Québec, permet d’en saisir l’impact. Si l’on soulignait en 2019 le triste 30e anniversaire de la tuerie de Polytechnique, force est de constater que notre société a encore beaucoup à faire pour lutter efficacement contre la violence envers les femmes. Et quand on parle de féminicide et de violence envers les femmes en général, on ne peut passer sous silence les milliers de femmes et de filles autochtones disparues et assassinées au Canada. Une réalité choquante, révélatrice de la situation de double oppression que connaissent les femmes autochtones et qui, rappelons-le, continue de se perpétrer.

Il y a aussi ces violences moins directes et sournoises auxquelles bien des femmes font face régulièrement. Commentaires non sollicités sur l’apparence physique ou sur les choix vestimentaires en font partie. S’ajoutent à cela des manifestations fréquentes de remise en question de la capacité de raisonnement et des compétences de certaines femmes, dans la sphère privée comme dans l’espace public. Récemment, la députée Christine Labrie s’est exprimée à l’Assemblée nationale sur la quantité d’insultes, de remarques dégradantes et d’attaques personnelles que peuvent recevoir les politiciennes. Dans le cadre de son intervention, la députée de Sherbrooke a lu des phrases qu’elle et certaines de ses collègues ont reçues et qui lèvent le voile sur les comportements misogynes et violents auxquelles elles sont confrontées. Et puisque l’on parle de politique : suis-je seule à m’offusquer de l’attitude paternaliste avec laquelle certains élus (des hommes, faut-il le préciser) répondent aux interventions de leurs homologues féminines lorsqu’elles s’expriment sur certaines questions qu’elles défendent? Combien de fois entendons-nous des « Laissez-moi expliquer à Mme la députée, elle ne semble pas comprendre »? Doit-on accepter de telles remarques sous prétexte que le domaine politique est traditionnellement masculin et sans pitié? Selon moi, nos élus devraient être les premiers à faire preuve de respect envers leurs collègues et envers les femmes en général. Ils devraient être des acteurs actifs de la déconstruction des rapports de domination et d’une culture qui dévalorise la contribution des femmes.

La notion de violence s’est immiscée dans cet Indice bohémien de façon parfois assumée, parfois discrète. En lisant ce journal, vous la rencontrerez dans le texte d’une survivante d’agression à caractère sexuel, qui nous livre un récit fictif participant à son processus de guérison. La lettre d’Édith Cloutier, directrice du Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or, la met aussi en scène dans un processus de guérison et de commémoration, en présentant le monument hommage aux femmes et aux filles autochtones inauguré l’automne dernier. L’exposition en cours de Chantale Girard que nous fait découvrir Béatriz Mediavilla met en lumière une forme de violence indirecte, qui s’en prend au corps féminin, son objectivation et sa représentation. Mentionnons aussi l’œuvre de Sylvie Rancourt, qui ouvre une fenêtre sur l’univers parfois violent des bars de danseuses et qui est aussi présentée dans ce numéro. Notre chroniqueur Louis-Paul Willis s’attaque quant à lui aux récentes dérives médiatiques entourant le droit à l’avortement dans le cadre de sa chronique Médias et société. Et puis, il y a de ces parcours de femmes inspirants, comme ceux de Yolette Lévy et de Lynn Vaillancourt, et des initiatives porteuses d’espoir, comme la bibliothèque féministe du Centre de femmes du Témiscamingue. Ce cahier spécial consacré aux femmes est loin d’être exhaustif. Mais chacune de ses composantes propose à sa façon de réfléchir au traitement des femmes en société, à des manières d’influencer positivement le cours des choses et de progresser vers une société plus équitable.


[1] La récente réaction du ministre de la Famille Mathieu Lacombe devant une déclaration de la Fédération des intervenantes en petite enfance du Québec montre bien que cette croyance tenace continue d’être véhiculée.


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