Au milieu du mois de septembre se tenait la deuxième édition de Miaja, dans la communauté de Kebaowek au Témiscamingue. La rencontre, organisée par Minwashin, un organisme à but non lucratif (OBNL) qui se consacre au soutien et à la promotion des arts et de la culture anicinabe, s’inscrit dans le cadre de l’année internationale des langues autochtones décrétée par l’ONU.

Au cœur de ce rassemblement, des invités des neuf communautés anicinabek du territoire réunis autour du thème de la sauvegarde de leur langue : membres de conseils de bande, enseignantes, linguistes, aînés, artisans traditionnels, organisateurs communautaires, etc.

J’ai eu le privilège d’y rencontrer des gens passionnés de leur culture, porteurs d’une mission vitale à bien des égards. En effet, la langue est encore parlée couramment dans certaines communautés et les porteurs de culture y sont actifs. Pour d’autres, la langue a pratiquement disparu pour laisser la place à l’anglais ou au français. Des solutions se dessinent pour remédier de façon urgente à la situation et c’est une bonne nouvelle.

La culture anicinabe est intrinsèquement liée au territoire, à sa logique, à son essence. Elle en est le reflet. Oscar Kistabish m’a appris que le mot chasse en anicinabe se traduirait par « ce que la Terre te donne ». La terre te donne un orignal pour te nourrir. Le mot chasse ne fait pas référence au prédateur, conquérant de la forêt, vainqueur contre la bête. Il implique une forme de respect et une sagesse si naturelle et si importante qu’il serait bénéfique pour plusieurs de revenir à leurs sources, surtout dans la prise de conscience aiguë que l’humanité devra faire face à la crise climatique.

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Souvent les gardiens du territoire, les peuples autochtones sont mis à mal dans presque tous les pays du monde. Le Canada n’est pas en reste. Il suffit d’aller voir les conditions de vie du côté de Kitcisakik. Au Brésil, dans une violence inouïe, les gardiens de l’Amazonie se font massacrer par des mineurs soutenus par le président brésilien, qui veut forcer l’ouverture des terres protégées des indigènes à l’exploitation minière, forestière et agricole. Il souhaite que ces terres « profitent à tous », ne comprenant pas qu’une forêt encore debout profite effectivement à tous, bien au-delà des frontières d’un pays.

Difficile de voir poindre la fin de septembre et la grève mondiale du climat sans faire de lien avec notre inconscience générale au sujet de la terre qu’on occupe. Comment sera-t-il possible de soutenir le rythme d’une croissance éternelle de l’économie sans mettre à mort ce qui reste d’espace vierge, d’eau potable, d’animaux sauvages? Comment garantir la pérennité des ressources pour les générations futures? Comment sera-t-il possible de nettoyer les océans en pensant que réduire l’utilisation des pailles de plastique est une révolution? Je suis bien d’accord que les changements passent par les gestes domestiques, par des choix de consommation différents. J’ai pratiqué ça toute ma vie, salaire d’artiste oblige. J’ai souvent imaginé la façon dont j’utiliserais le matériel et les objets si je vivais dans un monde en pénurie de tout, envahi de zombies post-explosion nucléaire. La simplicité volontaire, je connais. Mais c’est loin d’être suffisant. Le fardeau du changement ne peut pas reposer que sur des gestes individuels.

Le temps est venu d’obliger les sphères politiques à un courage sans précédent. À confronter les Amazon et Google de ce monde sur les impacts de leurs pratiques d’affaires. Saviez-vous que depuis l’ère des achats en ligne à grande échelle, la production d’emballages exigés par Amazon a détourné la presque totalité des usines de pâtes et papier vers la production de carton? Depuis, il reste à peine deux usines au Canada à produire des feuilles de papier blanc. Dans ce pays d’épinette noire, les papeteries s’approvisionnent désormais en Asie. Je ne parlerai pas de l’empreinte carbone que ça représente…

Si je parle des autochtones et du territoire, c’est que je pressens que les solutions à bien des problèmes de notre système économique se trouvent dans des sagesses ancestrales, comme celle de ne prélever que le nécessaire. Fleur bleue, vous dites? Peut-être. N’empêche, la nourriture que nous mangeons ne pousse pas dans les laboratoires. (Quoique.)

Bien des systèmes doivent être revus de façon drastique, quitte à déranger beaucoup de monde. Les lois doivent protéger les terres agricoles de la spéculation, protéger les cours d’eau, protéger les sols. Retirer les denrées alimentaires de base de la bourse. Elles doivent protéger les populations vulnérables des usines qui rejettent de l’arsenic à tout vent. On ne peut pas attendre que les sociétés se soumettent d’elles-mêmes à des pratiques plus respectueuses de la vie. Les lois doivent les y obliger. Et c’est là que la politique entre en jeu. Les candidats ministrables du pays doivent prendre position sur ces enjeux que personne ne peut désormais ignorer. Les grands décideurs devraient devenir imputables des actions qu’ils ne font pas. La pression, ce n’est pas sur le dos de la mère de famille qu’il faut la mettre, c’est sur les joueurs tellement gros qu’ils passent encore trop souvent entre les mailles des législations trop molles et désuètes des états de la planète. C’est une question vitale pour la suite du monde.


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