Les centres d’exposition ont pu rouvrir le 8 juin dernier et la plupart ont choisi de poursuivre les expositions déjà dans leurs murs jusqu’à l’automne. Le MA Musée d’art de Rouyn-Noranda présente donc depuis février dernier The Black Room, et ce, jusqu’au 6 septembre.

The Black Room est une installation vidéographique qui est le fruit d’un travail de commissariat entre Jean-Jacques Lachapelle, directeur du MA, et de Giscard Bouchotte, commissaire très actif à Haïti et dans les Caraïbes. En juin 2019, M. Lachapelle s’est rendu à Port-au-Prince et a pris le pouls des galeries de la ville ainsi que de l’art qui se fait actuellement à Haïti. The Black Room est en continuité directe avec sa démarche de commissaire qui se concentre sur les arts dans un contexte américain.

L’installation The Black Room est constituée de deux œuvres vidéographiques. La première, The Black Box – Le miroir, est le deuxième chapitre d’un long métrage à venir de l’artiste haïtien Michelange Quay. L’artiste propose au spectateur une introspection sous forme de parcours hypnotique. Celui-ci explore les rapports entre l’humanité et la technologie, le tribalisme et la modernité, dans une forme profondément cinématographique. L’œuvre est constituée de plusieurs travellings avant et verticaux, brouillant la perception du spectateur. L’utilisation de ces travellings – magnifiques par ailleurs – lie organiquement les divers plans pour en faire une narration improbable, mais fonctionnelle. Ainsi, Quay crée une structure proche du rêve.

L’image en noir et blanc joue sur l’ambiguïté chromatique de ses personnages. Michelange Quay a tourné ses images en partie àJacmel et ses personnages se fondent souvent dans l’obscurité de la salle. Une autre stratégie pour faire perdre au spectateur un peu plus ses repères. À quelques occasions, on ne sait plus où commence l’image et où finit le mur.

Jean-Ambroise Vesac, de son côté, nous amène dans un rêve total : il assume complètement l’irréalité de l’univers qu’il présente. Le spectateur comprend d’entrée de jeu que la réalité présentée est entièrement construite grâce à des images de synthèse. Cycles et saturation est une réalité alternative dans laquelle un personnage semble fuir au milieu d’une foule d’autres personnages semblables. Le héros de l’histoire racontée est coloré (des modulations de rouge et d’orange) alors que la foule est grisâtre. On ne peut que s’identifier au personnage en fuite et partager son angoisse.

Le paradoxe est qu’évidemment, le personnage n’a pas d’expression, mais la situation dans laquelle il est présenté, soit sa course incessante à travers la foule, la caméra toujours pointée vers lui, le travelling (une trajectoire qui suit le personnage à la manière d’une steady cam) crée l’identification et force le spectateur à spéculer sur les raisons de la fuite (si ça en est une) et à imaginer un drame ou une exclusion. La dramaturgie fonctionne malgré l’économie de moyens. Ou peut-être grâce à celle-ci, justement.

Les deux œuvres cinématographiques évoquent le rêve, comme tous les films d’ailleurs, car l’univers cinématographique a toujours cette part de rêve en lui. Les personnages se déplacent instantanément d’un endroit à l’autre, plusieurs années passent en un instant, un personnage peut rajeunir d’un coup grâce aux retours en arrière et ainsi de suite. Cependant, l’intérêt des œuvres vidéographiques en général réside dans leurs capacités à parler du moyen d’expression et à dire des choses plus abstraites qu’un film de fiction dans lequel la limpidité de la narration fait écran aux autres considérations pour plusieurs spectateurs.

En ce sens, les propositions que le MA nous offre nous donnent un exemple de discours cohérent et pertinent : les deux projections durent environ vingt minutes et nous transportent dans le rêve éveillé du cinéma, rêve consenti que l’on recherche très souvent comme spectateur.


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