En novembre dernier, le monde culturel de l’Abitibi-Témiscamingue, plus particulièrement le milieu du théâtre, perdait une de ses pionnières. Lise Pichette a donné beaucoup à sa région, aux créateurs et aux jeunes. Nous souhaitons mettre en lumière la travailleuse de l’ombre qu’elle a souvent été afin que s’inscrive dans notre mémoire collective une parcelle de l’héritage qu’elle nous laisse.

Je l’ai remarquée la première fois lors d’un festival annuel du jeune théâtre amateur québécois. Elles étaient trois amies inséparables, toutes trois vêtues du costume d’étudiante : jupe marine, blouse blanche, bas blancs et chaussures de marche. Elles avaient l’air si sages et si bien élevées que je les ai baptisées Les petites filles modèles (titre de la Comtesse de Ségur) : Lise, Claire et Michèle.

 

Il nous est donné dans la vie de rencontrer des personnes d’exception. Lise était cette femme de bonté, de sensibilité et de droiture. Passionnée dans tout ce qu’elle entreprenait. Elle a créé, dans la pièce théâtrale Un Reel ben beau, ben triste, une mère émouvante et d’une tragique authenticité. Avec une réelle empathie pour cette femme que nous avions rencontrée, Lise en avait saisi avec intelligence tout le drame profond et cette dignité dans la souffrance qu’elle-même a démontrée avant son grand départ.

–          Jeanne-Mance Delisle

Mes mains envahies d’échardes ne sont pas celles d’un comédien. 2 x 4 , 4 x 8 , plywood, aspenite et forence sont mes mots de tous les jours comme côté court, côté jardin, respiration, écoute, Koltès et jeu l’ont déjà été, il n’y a pas très longtemps. J’assume l’entière responsabilité de la déroute qui m’a conduit de la lumière artificielle des projecteurs à la lumière crue du soleil du mois de juillet, de la scène à la cour à bois. Parfois, un client me replace : « Heille, La Rage de l’ange! » Je souris. « Qu’est-ce tu fais icitte? » Je réponds la vérité si j’ai le temps. « J’ai assez aimé ton film! » Je souris à nouveau. « C’pas évident d’percer dans ce milieu-là, j’ai une nièce qui… » Je lui remets poliment sa facture. « En tout cas, bonne chance… » Et je fais pivoter mes Kodiak pour lui faire dos, direction machine à café, comme mon métier et moi nous nous faisons dos depuis maintenant quatre ans, café fort avec blanc, sucre et encouragement.

 

C’est ma deuxième année dans la cour à bois. À la mi-novembre, je serai sur le chômage et nous ne sommes qu’en juillet. C’est un coup à donner comme on dit. Le téléphone sonne, ou un message sur le répondeur, ou un courriel, je ne m’en souviens plus. C’est Lise Pichette. « J’ai un rôle pour toi. Du théâtre pour enfant. Ça s’appelle Bascule. » Depuis, je ne suis pas retourné dans la cour à bois. Merci Lise. 

–          Alexandre Castonguay

Le Petit Théâtre du Vieux Noranda a été fondé en 2001 par Lise Pichette et Alice Pomerleau, membres de la troupe de théâtre Les Zybrides. Les Zybrides avaient déjà participé à la fondation du Cabaret de la dernière chance une vingtaine d’années plus tôt, pour en faire un lieu de création. Ces années folles, où faire partie du « beat » donnait sens à toute une génération, ont permis à Lise de participer à de nombreuses productions théâtrales.

Après quelques années, Les Zybrides décident de partir pour se vouer à leur art et louent aux vétérans de la guerre le haut du Canadian Corps. Les Zybrides y créent des spectacles, mais y donnent aussi des formations pour les adolescents. C’est ainsi que j’ai connu Lise, à 15 ans, alors qu’Alice nous donnait, à moi et à d’autres adolescents, des cours de théâtre. Lise était à cette époque la femme de l’ombre, supportant nos productions juvéniles, commentant avec justesse et amour nos performances, nous préparant les soirs de spectacle de bons petits plats autour desquels nous nous rassemblions pour discuter de la vie, de l’amour, du théâtre, de la région.

Plus d’une vingtaine de jeunes ont monté, d’année en année, des pièces phares du répertoire des Zybrides et des textes socialement engagés. C’est lors de la création du Souper du Roi de Jeanne-Mance Delisle que nous avons vraiment découvert le talent de Lise, la comédienne. À l’écart des planches depuis plusieurs années, elle est remontée sur scène dans le rôle de la mère du roi. Généreuse et intransigeante, elle nous a tous étonnés. Cette présence, cette authenticité et cette ardeur sur scène! Nous avons peu à peu été initiés aux grandes batailles menées par Alice et Lise, celle de la valeur du travail des artistes, de leur droit de pratiquer leur art en région, celle de devoir faire émaner du territoire la parole des artistes. C’est dans ce grand tourbillon emballant que le vieux bâtiment du Canadian Corps s’est retrouvé en vente. Le rêve était là, accessible, celui d’avoir un théâtre, un lieu destiné à la création et à la production des arts de la scène où tous les artistes se sentiraient accueillis et libres de créer, d’échanger et de partager leur vision.

Novembre 2001, le Petit Théâtre du Vieux Noranda est né. Tous y mettent les mains à la pâte. Nous sommes alors bien inconscients, nous les jeunes, de toute la charge financière que représente ce lieu enchanté qui, dans un idéal d’ouverture, est prêté gratuitement à tous les trippeux de culture qui le demandent et qui en ont fait leur place. C’est en 2005 que je viens donner un petit coup de main à Lise, « un an pas plus ». Sauver et rénover le Petit Théâtre m’a permis de la découvrir, mais surtout d’apprendre d’elle. Sa persévérance et ses convictions sont au cœur même du développement du Petit Théâtre.

Elle m’a rapidement appris que la vie, les relations et le théâtre devaient être fondés sur le vrai. Il faut croire ce que l’on dit et dire ce que l’on croit. Côtoyer une telle femme permet de défoncer des murs, remettre en question l’ordre établi et faire les choses autrement. Lise a toujours cru que les instances gouvernementales devaient être au service de la population et a défendu avec véhémence les intérêts des artistes de la région sur toutes les tribunes. Lise est une artisane du développement régional, à son échelle, c’est-à-dire, humaine. Elle a convaincu une à une les personnes qui ont croisé sa route de l’importance de l’identité régionale et de la parole des artistes. 

Lise est une femme de bon goût et de profondeur. Une femme aux valeurs d’une autre époque, celle où les choses prenaient le temps de se faire, celle où on prenait plaisir à faire les choses plutôt qu’à en mesurer le résultat.

Lise est un arbre au milieu du jardin dont on oublie la présence avec le temps. Cet arbre est parti et a laissé un immense trou, mais aussi beaucoup de racines. 

–          Rosalie Chartier Lacombe, directrice générale du Petit Théâtre du Vieux Noranda