Élaborée d’aussi loin que le Symposium de peinture de Baie-St-Paul en 2010, La Jamésie de Geneviève et Matthieu a atteint en 2015 son statut de manifeste. Ce performance-installation-album, sorte de Plan Nord irrévérencieux médité dans la durée, s’invente un pays des possibles où vivent une pléiade de personnages marginaux, en déconstruisant le discours artistique et en soulignant au passage les luttes des peuples autochtones qui secouent le Canada actuel.
Invité à Mons, en Belgique, dans le cadre de Capitale culturelle européenne 2015, le duo norandien figurait au volet Ailleurs en folie. Huit villes situées hors de l’Europe étaient invitées à présenter leur écurie d’artistes des arts vivants. La délégation Montréal/Québec comptait 80 artistes québécois, rassemblés par la commissaire et codirectrice du OFFTA, festival montréalais voué à la jeune création, Jasmine Catudal.
Du même voyage, Geneviève et Matthieu ont aussi été reçus à Marseille (Capitale culturelle européenne 2014), au centre d’artistes Montévidéo, dans le cadre du Festival actoral 15, le off Festival d’Avignon, dédié aux nouvelles écritures des arts vivants. Enchanté par la performance La Jamésie, le codirecteur Hubert Colas les a invités à revenir pour une résidence de deux semaines dans un avenir prochain.
Si l’accueil à Mons a été plutôt poli, celui de Marseille aura été « débile » aux dires de Geneviève. Plus explicite, Matthieu d’ajouter : « Les Marseillais ont vraiment compris l’univers mental et fictionnel que transporte notre performance et notre album La Jamésie. Un univers distordu qui se matérialise en peinture dans des matériaux pauvres, invendables, destructibles à répétition. »
Et pour cause, leur Jamésie trouve son aboutissement dans le matériau brut et conflictuel que fournissent les enjeux historiques, économiques et sociaux qu’incarnent les régions nordiques du Québec, souvent ramenées à leur fonction de régions-ressources. Les peintures qui devaient illustrer les montagnes de Baie-St-Paul sont devenues des motifs autonomes, renaissant sous la forme de camouflage, qui exacerbent ce qu’elles devraient camoufler. Les amis nudistes de Baie-St-Paul se sont aussi affranchis de leur référent, pour sauter d’un tableau à l’autre, relançant chaque fois cette inatteignable nudité originelle. Les toiles peintes effrangées suggèrent les habits d’apparat des Indiens d’Amérique. Les capteurs de rêves se transforment en d’énormes camées ouverts où des images vidéo arrachent les paysages jamésiens à leur contexte historico-syncrétique et les mêlent aux gestes et lieux de résidence et de création, en quête d’une virginité inaugurale.
Au cours du voyage, en plus de faire le plein de spectacles, Geneviève et Matthieu se sont réservés dans chaque ville cinq jours de résidence, transformant leur appartement en atelier où ils se sont employés à refaire plâtres, écrans et objets qu’ils n’avaient pas pu mettre dans leur valise, et qui de toute façon allaient être détruits durant la performance en de grands gestes libérateurs et jouissifs.
Le 31 octobre, c’est au centre CIRCA à Montréal que le duo présentera à nouveau sa Jamésie. Allez-y costumés, mentionne l’annonce. \