Sous des liasses de paperasserie, les yeux asséchés par son écran cathodique qui affiche des courriels et des pièces jointes par centaines, Ebenezer CALQ est bien occupé et sans cesse sollicité par des demandes qui affluent.
Un dossier de candidature, un renouvèlement d’appui, une demande de subvention, de l’aide financière réclamée, un peu d’oxygène pour une galerie d’art qui peine à joindre les deux bouts, une salle de spectacles qui espère un coup de pouce, un centre d’art qui croise les doigts. Ebenezer CALQ juge, tranche… expédie une réponse, accorde ses contributions et distribue aux quatre coins de la province ses aumônes.
Aux quatre coins?
A-t-il cette fois tourné les coins ronds? Ou raté le virage?
Cette année-là, Tibi Témis a eu moins que ce à quoi il s’attendait dans son petit soulier pour Noël. Pourtant, du Cuivre aux Eskers, des rives du Rift au Centre Rotary, il n’y a pas eu de répit. En passant en revue tout ce qui a été fait cette année, tout ce qui a été présenté, Tibi Témis avait pourtant l’impression d’avoir rempli sa mission.
Ses coffres un peu plus vides, Tibi Témis se promettait de poursuivre ses efforts, convaincu de la qualité du gisement de son sol. Ce sol qui a fait naitre des grands, des géants, des hymnes et des rimes aussi nombreux que les innombrables cimes qui se dressent dans ses forêts et qui jamais ne tomberont dans l’abime de l’oubli.
La mine basse Tibi Témis savait néanmoins que même avec son armée de soldats qui portent avec fierté leurs espoirs comme des lances tenues à bout de bras, sans moyens, l’écho et le rayonnement ne sauraient être aussi puissants qu’espéré. Mais dans une région bâtie à mains nues, encore jeune de développement mais riche en histoires, il demeurait convaincu d’y parvenir.
Ebenezer CALQ s’était déconnecté de son poste de travail après l’expédition de son dernier bilan. Il ne pensait plus à Tibi Témis… Le dossier était clos depuis longtemps, et puis pourquoi se livrer à des justifications? Certes, c’est 168 450 $ de moins, mais une somme de plus de 1,2 million a été versée.
– Ils composeront avec! Il ne leur suffit que de modifier quelques lignes comptables, se dit Ebenezer CALQ.
Ce soir-là, CALQ ferma la porte, s’installa confortablement dans son fauteuil de velours pourpre et s’endormit. Contrairement au conte de Charles Dickens, il ne fut pas visité par les fantômes du Passé, du Présent et du Futur, ce sont plutôt des voix de différents porte-paroles, amis et élus qui appuient la culture qui sont venus auprès de lui pour sonner l’alarme…
De tout le Québec, l’Abitibi-Témiscamingue a été la seule région à avoir obtenu un financement inférieur pour 2017-2018 de la part du CALQ. Moins pour Le Rift; moins pour le Centre d’art Rotary; moins pour Parallèle 48; moins pour le Théâtre des Eskers et le Théâtre du cuivre.
Si les créateurs et artistes peuvent puiser leur inspiration dans le souffle du vent, ils ne peuvent, ni eux ni les diffuseurs culturels, vivre de l’air du temps.
Évidemment, il est possible de réévaluer les priorités, de faire passer une option devant une autre, de sursoir à la décision, d’accorder davantage de fonds ou pas…
Certes, il est concevable de réviser un budget à la baisse, de faire reculer le cran de la ceinture, de se dire qu’« on fera pareil avec moins, un miracle de plus ». Ici, tout est possible. On vit bien avec huit mois d’hiver.
N’empêche…
Et si on pouvait de revoir un peu les chiffres.
De reconnaitre un peu plus la valeur de l’exil créatif et de l’art nu des terres reculées?
De croire que l’homme et son âme se nourrissent aussi de beautés secrètes, d’imagination sauvage, d’improbables rencontres entre le
pinceau et des petits pots de peinture d’acrylique, de notes qui volent sur le dos d’une perdrix.
Et si la guillotine remontait de quelques pieds le temps de prendre un grand respir?
Et si on rêvait d’un peu d’air pour 2018?