Le 16 août dernier, l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) a accueilli le sociologue Pierre Doray à titre de grand conférencier lors du 23e Colloque du doctorat réseau en éducation. Dans son exposé, intitulé Quelles reconfigurations en éducation? Les politiques publiques entre héritage et projection, leprofesseur à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) a abordé une question centrale : comment le système d’éducation québécois s’est-il trouvé transformé par le déclin de l’État-providence et la montée d’un État résolument managérial?
Il faut savoir que cette édition du Colloque du doctorat réseau en éducation, organisée par l’Unité d’enseignement et de recherche (UER) en sciences de l’éducation de l’UQAT, avait pour thème 50 ans après la création de l’Université du Québec : des espaces à explorer, à habiter et à protéger en sciences de l’éducation. C’est donc dans ce contexte que le professeur Doray a mis en évidence la transformation du système scolaire québécois depuis 1960.
Au début de la Révolution tranquille, sous le modèle de l’État-providence, l’État québécois érige le droit à l’éducation au rang de valeur cardinale. Une multitude de moyens colossaux, qui visent à démocratiser l’éducation, sont alors déployés. Au premier chef, un système d’éducation public est créé, dans le but de garantir une éducation à toutes et à tous, mais plus particulièrement aux femmes, aux citoyens des régions rurales et aux personnes défavorisées. Afin d’alphabétiser et de former les masses, on développe le secteur de l’éducation des adultes ainsi que les centres d’éducation communautaire et populaire. Finalement, la création du réseau de l’Université du Québec vise à permettre aux Québécois, notamment aux femmes, d’accéder aux études supérieures. L’heure est à la modernisation de l’offre de formation, et aussi, à la polyvalence.
De 1984 à 1990, toutefois, ce mouvement s’essouffle : le Québec opère un réalignement économique et idéologique qui augure une nouvelle ère, selon Doray. C’est que, observe-t-on, certaines inégalités constatées au début de la Révolution tranquille persistent, bien que sous une forme atténuée : l’origine sociale influence toujours le parcours scolaire; femmes et hommes choisissent des formations qui reproduisent une division sexuée du travail; surtout, des voies de formation dites allégées constituent de véritables ghettos sociaux. Un mouvement de retour vers les fondements s’entame, mais tandis qu’on recentre l’enseignement sur les disciplines fondamentales et qu’on réforme la formation des adultes, l’éducation populaire diminue comme peau de chagrin.
À partir de 1990, ces réalignements se cristallisent : c’est l’ère de l’État managérial, comme la nomme Doray. Sous cette nouvelle idéologie dominante, on réaffirme le droit à l’éducation. On élargit même la notion d’accès à l’éducation : la garantie de pouvoir obtenir un diplôme constitue désormais l’enjeu central. Néanmoins, ces principes sont régulièrement mis à mal par l’État managérial, d’abord animé par la logique économique néolibérale. Ainsi, lorsque le gouvernement Bourassa décrète une hausse des frais de scolarité universitaires en 1993, les taux de fréquentation déclinent. Ceux-ci ne reviendront aux niveaux antérieurs qu’en 2003.
Surtout, rappelle Doray, à l’ère de l’État managérial, la concurrence en vient à constituer le principal mécanisme de régulation de l’éducation. Dans le secteur de la formation générale des jeunes, le réseau public imite désormais le réseau privé : il offre des programmes à vocation particulière, auxquels on accède au terme d’un processus de sélection et moyennant le paiement de frais. Une étude dirigée par Doray montre l’effet pervers de ces « innovations » : si 95 % des jeunes ayant fréquenté un cheminement enrichi accèdent au cégep, seuls 36 % de leurs pairs scolarisés dans une classe ordinaire auront la même chance.
Les propos de Doray nous posent donc une question fondamentale : à l’ère de l’État managérial, l’égalité des chances en éducation est-elle révolue, ou constitue-t-elle un héritage réel?