Habitée par un amour des arts textiles en général, c’est en toute humilité que la néophyte du tissage que je suis s’est lancée dans la découverte de cette pratique et dans l’écriture de ce texte qui brosse un portrait bien large de cet art ancestral. J’en suis heureuse puisque ce défi m’a permis de faire mes premiers pas en tant qu’apprentie tisserande et de rencontrer des personnes passionnées et inspirantes qui m’accompagneront prochainement dans la réalisation de mes premières créations.
Le tissage, soit l’entrelacement à angle droit de deux ensembles de fils afin de former un tissu,est une pratique vieille comme le monde. Sur le continent américain, il faut remonter 12 000 ans en arrière pour retrouver son origine, plus précisément dans l’hémisphère sud. La pratique du tissage est un savoir qui, comme bien d’autres savoir-faire relatifs aux arts textiles, se transmet principalement par les femmes. Les artisanes du tissu sont appelées les tisserandes.
Bien que l’on pense spontanément au métier à tisser pour la confection de tissu, la liste est longue pour répertorier l’ensemble des techniques de tissage et des cultures dans lesquelles celles-ci sont pratiquées. Il est possible de s’adonner à cette pratique en utilisant des branches, un cadre, une roue de bicyclette, etc.
TROUVER SA FIBRE TEXTILE
Qu’elles soient végétales, animales ou synthétiques, à peu près toutes les fibres qui nous viennent à l’idée peuvent être tissées. Laine, alpaga, cachemire, soie, coton, fourrure, cuir, brindilles, fil d’acier ou d’inox, matières plastiques, tissu recyclé… À priori, tout y passe! Du moment que l’on ajuste la technique et la tension employées. Par exemple, pour l’artiste tisserande Julie Bénédicte Lambert, exerçant à Montréal, c’est le papier qui est au cœur de ses créations textiles. « Mes gestes répétés, les allers-retours du fil et la composition de mes motifs font écho au travail d’une écrivaine qui retravaille la phrase, construit un récit et fait défiler la page. Notre manière de joindre les mots s’apparente à l’élaboration d’un tissu. Mes pièces puisent dans les multiples correspondances entre le tissage et l’organisation du langage. Mon choix d’utiliser le papier comme matière première exprime le lien intrinsèque entre les mots texte et textile qui partagent la même racine étymologique. Je file la métaphore jusqu’au bout. »
LE MÉTIER À TISSER
Avec sa charpente de bois imposante, son système de pédalier et le déploiement des fils, le métier à tisser rappelle incontestablement le piano et plaît aux yeux à tout coup. Probablement peu d’autres pratiques artistiques nécessitent autant de patience que celle requise pour monter le métier, c’est-à-dire y installer les fils de chaîne (verticaux), entre lesquels seront passés les fils de trame (horizontaux) dont le tassement successif effectué en abaissant le battant formera un tissu.
La responsable des arts textiles du Cercle des fermières (CF) Saint-Charles/Fatima de Val-d’Or, Émilienne Hardy, affirme qu’environ une centaine d’heures ont été nécessaires afin de monter un métier de 305 cm (120 pouces). Un travail qui n’aura pas été réalisé en vain, puisque le montage permettra de tisser 16 catalognes de 230 cm (90 pouces) de largeur ainsi que 7 catalognes de 280 cm (110 pouces) de largeur. Pour réaliser une œuvre sur un métier aussi grand, le travail s’effectue à deux personnes.
LES CERCLES DES FERMIÈRES : PRÉCIEUX LIEUX DE TRANSMISSION DES SAVOIRS
S’il n’est malheureusement pas toujours possible d’installer un tel objet chez soi, les cercles des fermières de la région sont à cet effet des lieux précieux pour assurer la transmission du savoir-faire, notamment en tissage, à condition d’être membre de l’organisation. La présidente du CF Saint-Charles/Fatima Val-d’Or, Nicole Boulanger a profité de son invitation au Grand forum citoyen dans le cadre du renouvellement de la politique culturelle de la ville de Val-d’Or le 7 novembre dernier afin de susciter une reconnaissance accrue du rôle culturel et social majeur joué par l’organisation.
En effet, la présidente et plusieurs membres, rencontrées lors de la rencontre mensuelle du cercle le 13 novembre dernier, ont exprimé le sentiment d’être submergées par le travail à accomplir de façon récurrente afin d’assurer leur financement. Ceci a pour effet de limiter l’ampleur des activités de création qu’elles souhaiteraient réaliser, de même que le temps consacré à la transmission des connaissances aux personnes débutantes. Selon elles, une subvention municipale pour soutenir, par exemple, les dépenses associées au local de l’organisation, comme cela est le cas dans d’autres villes de la région, pourrait représenter une aide considérable pour faire rayonner leur savoir-faire inestimable.
LONG HISTORIQUE DE TRANSMISSION DES SAVOIRS PAR LES FEMMES
En 1928, la tisserande Émelie Chamard de Saint-Jean-Port-Joli a été embauchée par le ministère de l’Agriculture afin d’enseigner le tissage et le tricot dans les villages de colonisation partout dans la province. Dans les années 1930, elle s’est rendue en Abitibi, entre autres à Sainte-Anne-de-Roquemaure (1936) et Barraute (1938) afin de transmettre ses connaissances aux femmes. Elle a été une importante référence en tissage à l’échelle de la province et a laissé sa marque dans sa région, Chaudière-Appalaches, laquelle est notamment reconnue à l’échelle touristique pour son patrimoine en arts textiles.
LES ARTISTES TISSERANDES FONT PREUVE D’UNE CRÉATIVITÉ DÉBORDANTE
Il suffit d’une discussion avec les sœurs Sylviane et Solange Gingras, artistes tisserandes de Palmarolle (dont on peut admirer certaines créations sur leur page Facebook S.&S. Artisanes) pour avoir envie de se lancer à son tour dans le tissage. Ces dernières n’hésitent pas à varier textures et matériaux de toute sorte dans leurs créations. Le dynamique duo carbure à l’originalité et l’extravagance : les pièces qu’elles créent n’ont pour seules limites que celles de l’imagination. Leur travail s’effectue sous l’œil attentif de leur maman Clémence Gingras, aujourd’hui âgée de 94 ans, qui participe activement au processus de création en faisant part de ses idées et de ses commentaires sur les projets en cours et à venir. Ce sont en premier lieu des membres du cercle des fermières de Gallichan qui ont appris à Sylviane et Solange Gingras comment tisser. Par la suite, celles-ci ont pu bénéficier de l’aide de deux de leurs sœurs ainsi que de femmes de Sainte-Germaine-Boulé afin d’apprendre à monter un métier à tisser et à peaufiner leur pratique.
SOIF DE RELÈVE ET DE RECONNAISSANCE!
Si autrefois la venue de tisserandes engagées par le gouvernement était nécessaire afin d’assurer la transmission des savoirs relatifs aux arts textiles, ce n’est assurément plus le cas aujourd’hui. En effet, de véritables encyclopédies vivantes sont à notre portée ici enAbitibi-Témiscamingue.Encore faut-il assurer une relève et soutenir les artisanes et artisans qui sont prêts à passer au suivant leur savoir.